Errance et santé mentale : témoignage d'un psychiatre au CASH de Nanterre

19 avril 2013
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En octobre 2011, une étude de l'Inserm et de l'Observatoire du Samu social de Paris, faisait apparaître qu'en Ile-de-France, un tiers des personnes sans domicile fixe sont atteintes d'un trouble psychiatrique sévère, et un tiers, encore, souffrent au moins d'une addiction (alcool, drogues, médicaments). Les petits frères des Pauvres qui sont présents depuis longtemps au CASH (Centre d'Accueil et de Soins Hospitaliers ) de Nanterre, ont interrogé le Dr Michel Triantafyllou, psychiatre et médecin chef du Pôle Santé Mentale & Médecine Sociale du centre, sur la prise en charge des plus précaires - SDF ou ex errants - en matière de psychiatrie.

« La souffrance psychique est prise en compte, traitée, et autant que faire se peut, soulagée, quels que soient l'origine, l'histoire, le statut social du patient » Pouvez-vous nous dire comment est organisé le secteur Psychiatrie à Nanterre ? Nanterre est une ville de 91.600 habitants. Le Pôle Santé Mentale s'articule autour de 2 Centres Médico-Psychologiques (CMP, dans notre jargon), qui accueillent, évaluent, orientent les patients, et assurent un suivi ambulatoire. Cela représente une file active d'environ 1500 patients. Un hôpital de jour qui a pour vocation une prise en charge du post-aigü (1) , et un CATTP – Centre d'Accueil Thérapeutique à Temps Partiel - dédié aux patients psychotiques stabilisés, et a pour vocation de les aider à une réinsertion dans le tissu social. A cela, s'ajoutent les actions d'une Equipe Mobile Santé Mentale et Précarité et une Consultation PASS Psy qui interviennent dans des Associations comme La Rampe, aux Foyers ADOMA, à la Maison de la Solidarité et au sein d'autres associations recevant des publics en situation de précarité. Il y a également des Consultations Psy à UCSA – Unité de Consultation et de Soins Ambulatoires – qui est intégrée à la Maison d'Arrêt des Hauts de Seine, pour les prisonniers incarcérés à la prison de Nanterre. Qu'en est-il de l'organisation du CASH où nous sommes et vous nous recevez ? De quelles structures psy le cash s'est-il doté ? Au sein de l'hôpital Max Fourestier, vous avez le Service de Psychiatrie, avec au rez-de-chaussée, une unité ouverte de 24 lits. Là, les patients ont été en état de donner leur consentement aux soins qui leur sont proposés. Au 1er étage, c'est une unité fermée de 15 lits. Là, les patients sont hospitalisés sans leur consentement. Ils sont dans une phase aigüe de leur pathologie. Nous avons aussi une équipe mobile, et une Unité de Psychiatrie de Liaison pour les patients relevant de la psychiatrie, et momentanément hospitalisés dans un autre Service de l'hôpital, pour être soignés d'une autre pathologie (en cardio ou en pneumologie, etc) ainsi qu'une unité plus spécifiquement dédiée à intervenir aux Urgences de l'hôpital Max Fourestier Quels sont les effectifs salariés exerçant dans le domaine de la psychiatrie, sur Nanterre ? Il y a 13,40 médecins psychiatres, 16 psychologues dont les trois-quarts ont bénéficié d'une formation analytique. Qu'en est-il des infirmiers /infirmières spécialisés en psychiatrie ? Le métier d'infirmier a été unifié en 1992. Depuis, aucun infirmier ne dispose d'une qualification diplômée spécifique en psychiatrie. Disposez-vous, au sein du CASH, d'un foyer post-cure ? Non, le foyer post cure a été supprimé fin 2009, début 2010. Docteur Triantafyllou, le CASH a la spécificité de disposer d'un Pôle Social, qui accueille des personnes SDF au CHAPSA (Centre d'Hébergement et d'Accueil de Personnes Sans Abri) ainsi que d'anciens errants, abrités et vivant au CHRS (Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale) et au CHRS-LD (Longue Durée). Au sein du Service de Psychiatrie que vous dirigez, et qui soigne l'ensemble de la population nanterrienne souffrant d'une pathologie relevant de la psychiatrie, pouvez-vous estimer le pourcentage de patients SDF ou ex errants en tentative de réinsertion sociale ? Ici, nous recevons les patients sans aucune discrimination. Les errants et anciens errants représentent peut-être ici quelque chose comme 7% de la population traitée. La souffrance psychique est prise en compte, traitée, et autant que faire se peut, soulagée, quels que soient l'origine, l'histoire, le statut social du patient. Avec les mouvements migratoires, par exemple l'arrivée récente de populations en provenance de l'Europe centrale, vous retrouvez-vous parfois confrontés à la difficulté de communiquer avec ces patients, faute de disposer d'interprètes pour ceux qui n'ont pas encore acquis la langue française ? Oui, sans conteste, même si cela reste minoritaire. C'est délicat car en effet, pour eux, parler et dire leur souffrance avec des mots, ça peut contribuer pour beaucoup à notre capacité de psy de les traiter et de les soulager. Maintenant, il faut rester conscient qu'être interprète, ça ne s'improvise pas. De mon point de vue, cela nécessiterait une formation solide. « C'est un choix de ma part de développer des structures de santé mentale en lien avec la précarité, et de coordonner une équipe mobile qui intervient là où il y en a besoin. Choix aussi, je dirais, de tendre vers la plus grande qualité » Sur les populations SDF et anciennement errantes, y aurait-il une pathologie en psychiatrie plus prévalente, majoritaire ? Le rapport Samenta – SAnté MENTale et les Addictions - sorti en 2009, montre qu'un tiers des sans abri des SDF de la région parisienne souffre de troubles psychiatriques et de troubles dépressifs majeurs, ce qui est beaucoup plus important qu'en population générale. L'addiction à l'alcool et à des substances psycho-actives est importante aussi. Bien-sûr, ces résultats ont généré un grand débat contradictoire : est-ce l'exclusion sociale qui crée ces pathologies ou est-ce la prévalence de ces pathologies qui conduit à la désocialisation ? Qu'en est-il de la difficulté des précaires de se projeter positivement dans le temps, constatée par des bénévoles qui les accompagnent ? Cela concerne les personnes vraiment très précaires. Mais fort heureusement, des épisodes de précarité peuvent déboucher sur la possibilité de se réinsérer. Vous avez évoqué spontanément le rapport Samenta. Quelle autre lecture conseilleriez-vous aux citoyens, bénévoles ou pas, qui souhaiteraient avoir accès à une compréhension optimale de la précarité ? Je les invite à lire Alain Mercuel, psychiatre chef de service à Sainte-Anne. Sur les personnes en grande précarité, il a publié « La souffrance psychique des sans-abri », aux éditions Odile Jacob. Les bénévoles liront aussi avec intérêt la revue « Rhizome », un bulletin national sur la santé et la précarité. Docteur Triantafyllou, pouvons-nous savoir quel est votre parcours professionnel, et depuis combien de temps vous exercez en tant que psychiatre dans cet hôpital Max Fourestier de Nanterre ? Votre exercice de la psychiatrie dans ce CASH si spécifique avec sa mission sociale et son pôle social (Chapsa, Chrs et Cchrs-ld) est-il le résultat d'un choix de votre part ? J'ai été élevé dans une famille de médecins. Dès que j'ai commencé mes études de médecine, je savais que je choisirai la psychiatrie. J'ai exercé les fonctions de Chef de Service de Psychiatrie à Dreux, une ville qui a connu une forte immigration et doit affronter un accroissement de la précarité. J'assure les mêmes fonctions à Nanterre depuis 2004. Ca fait 9 ans. Ce n'est pas l'effet d'un hasard. C'est un choix de ma part de développer des structures de santé mentale en lien avec la précarité, et de coordonner une équipe mobile qui intervient là où il y en a besoin. Choix aussi, je dirais, de tendre vers la plus grande qualité. C'est parce qu'ils ne sont pas souvent en mesure de choisir à qui vont-ils confier leurs soins, que nous avons selon moi l'obligation de leur offrir les meilleurs. Auriez-vous un beau souvenir, dans votre pratique professionnelle, lié bien-sûr à un patient / une patiente ? Je réfléchis... Oui, celui qui me vient, là, je l'ai vécu avec le docteur Hassin. Avec le docteur Jacques Hassin, qui est le médecin responsable du pôle médical social, dédié aux précaires du Chapsa et du Chrs, et a été associé à la conception et à la mise en œuvre du SAMU social ? Tout-à-fait. Ce jour-là, nous sommes allés à la rencontre d'une femme qui squattait opiniâtrement en face de l'hôpital. Nous voulions tenter de la convaincre de venir au CASH pour se faire nourrir, héberger, soigner. Elle était couchée par terre et s'abritait d'une couverture. Ce n'est que lorsque nous nous sommes accroupis délicatement tous les deux devant elle, tout en lui parlant à la hauteur de son visage, qu'elle a consenti à écouter ce qu'on lui disait. Elle a alors commencé à parler, comme un lâcher-prise de son opposition à toute intervention. Elle s'est assise, et on a alors découvert qu'elle avait une prothèse de jambe. Et c'est bien-sûr avec son consentement que nous l'avons emmenée au cash. Pourquoi cela constitue un bon souvenir ? D'abord, parce que, pour accepter de communiquer, c'est le regard dans le regard dont elle avait besoin, nous à sa hauteur. Il s'agit là d'une réalité fondamentale qui n'échappe pas aux équipes mobiles. Mais c'est important de relayer cette information. Ensuite, parce que depuis, dans son parcours de réinsertion, elle a fait son chemin, sans être du tout influencée dans son choix. Elle a trouvé la meilleure solution à la fin totale de son errance : son retour aux Antilles qui l'avaient vu naître. Enfin, dernière question : si vous, psychiatre expérimenté, deviez émettre un vœu, lequel exprimeriez-vous ? Un vœu ? Je dirais développer le plus possible les équipes mobiles. Qu'elles soient en nombre suffisant – et que leur financement soit suffisant, pour aller là où sont les gens ! Il faut aussi que nous disposions de plus de places d'hébergement d'urgence, et de taille humaine. Davantage de places, oui, mais, très important, de taille humaine : même si l'hébergement d'urgence n'est pas pérenne, il faut éviter les grands espaces difficilement compatibles avec notre condition d'êtres humains. Propos recueillis par Angélique Hernando, Chargée de Communication de la Fraternité St-Maur & Maryvonne Sendra, bénévole au Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale du CASH de Nanterre.   Notes (1) Les soins post-aigus sont destinés aux personnes qui ont été hospitalisées pour une affection aiguë (maladie, accident ou opération) et dont les problèmes médicaux sont stabilisés.

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