Etre bénévole d'accompagnement de personnes malades à l'hôpital, en Gériatrie

26 juin 2012
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Dans l’immense hall d’accueil de l’hôpital, en ce début d’après-midi, le solstice n’est pas factice : la lumière y entre généreusement par les baies vitrées. Et là-bas, attenante à la cafétéria, la terrasse distribue des espaces d’ombres fraîches ou de plein soleil.

Delphine, bénévole d’accompagnement de personnes malades depuis 3 ans, me convie à venir partager avec elle «un 100% instant présent». Nous voilà dans le bâtiment Gériatrie. Tiens, il faut composer un code pour pouvoir pénétrer dans l’ascenseur... Une fois arrivées à l’étage USLD (Unité de Soins Longue Durée), après avoir croisé dans le large couloir une dame en déambulation, Delphine me confie : « Etre atteint de la maladie d’Alzheimer, ça se traduit souvent par une errance. Grâce à ce code ascenseur obligé, conçu pour sécuriser, ils peuvent être libres de circuler car cela ne les met pas en danger ». Puis nous pénétrons dans le vestiaire, et déposons nos sacs et gilets dans le casier à clef identifié « bénévoles petits frères ». C’est là qu’elle récupère le « cahier de transmissions » confidentiel, destiné aux bénévoles se succédant en ces lieux, dans cette mission. Il fixe sur le papier ces « instants », il mentionne le nom et le numéro de chambre des personnes visitées, et permet ainsi d’inscrire dans la fidélité les accompagnements passés et à réaliser. Bon, maintenant, nous sommes prêtes ! Delphine et son sourire m’invitent : « Allez, ensemble, vivons le 100% instant présent ! ». « Bonjour madame ! Je ne suis pas Rébecca... Moi, je m’appelle Delphine » Les portes des chambres des patients sont ouvertes ou fermées, dans le respect de leur volonté. C’est en dépassant, dans le couloir, une porte grande ouverte que Delphine est interpelée par un appel strident : « Rébeccaaaaaaa ! ». Quelques pas en arrière pour visualiser la personne qui appelle, puis Delphine entre doucement dans la chambre. Une dame de grand âge, assise à côté de son lit, la dévisage intensément comme on décrypte une énigme. « Bonjour Madame ! » Et avec un sourire et la main tendue : « Je ne suis pas Rébecca... Moi, je m’appelle Delphine ». Les mains se maintiennent l’une dans l’autre. Apaisement. « Et vous, madame, quel est votre prénom ? » « Danièle » « Danièle, c’est joli. C’est parfois avec un l et parfois avec deux l » « Un pour moi ! » « Et Rébecca que vous cherchiez, c’est peut-être votre fille... ou votre petite fille ? » « Oui, c’est ça... En ce moment, vous savez, je commence les phrases et je ne peux pas les terminer » Cet aveu est formulé comme on se libère d’une incapacité. « Vous m’autorisez, Madame, à descendre un peu le son de votre télévision ? » demande Delphine, captant le désir évident de Danièle de continuer à communiquer. Consentement tacite reconnaissant. Mais cette ouverture potentielle est interrompue par une patiente, probablement voisine de chambre. Elle nous regarde, touche son propre gilet de laine qu’elle nous montre, et s’emploie, dans une diction que le son réduit de la télévision ne réussit pas à rendre compréhensible, à nous en parler, de son gilet. Nous saisissons, par leur répétition entêtée, à en extraire les mots « La Redoute, Roubaix ». Et la voisine se maintient là, dans l’embrasure de la porte. Le regard peu amène que Danièle lui porte, frustrée des paroles qui ne peuvent plus s’échanger, n’ébranle pas l’obstination de la voisine à rester là pour nous parler de La Redoute Roubaix. Delphine remet de l’espoir dans les yeux de Danièle en lui disant : « Ce n’est pas grave. Vous savez, je suis bénévole, et je suis là toutes les semaines. Et promis, jeudi prochain, chez vous je reviens ». « Il faut faire avec ce mystère... J’apprends l’alchimie des regards échangés, la sonorité des paroles prononcées, même quand leur sens m’a échappé» Nous revoilà dans le large couloir. Dis-moi, Delphine, qu’évoquent en toi les manifestations, en ces lieux, de la maladie d’Alzheimer ou de la démence sénile ? « Ta question me fait penser à une dame que je visite ici depuis deux ans. A chaque fois que je la vois, elle ne me reconnait pas. Il faut faire avec ce mystère. Et pour elle, à chaque fois, c’est une nouvelle découverte. Et moi, chaque fois, j’apprends l’alchimie des regards échangés, la sonorité des paroles prononcées, même quand leur sens m’a échappé. J’apprends le 100% instant présent . Josefa, Josefina, « dar a comer a las chicas » Quand nous nous présentons à Josefa, son visage s’illumine. Delphine enveloppe ses mains dans les siennes, et c’est pour Josefa un baume qui  élargit le sourire. Delphine lui dit : « Vous savez, aujourd’hui, c’est la fête de la musique ! ». Enthousiaste, Josefa engage un monologue qui nous est pourtant destiné. Delphine suit le fil, et en réponse interactive, elle répète les quelques mots qu’elle reconnaît : « Ah oui, un chanteur hier ! Et il a distribué des oranges ! Super ! » Sur les murs de toutes les chambres, le prénom et le nom des patients est affiché. Le prénom Josefa, le nom hispanique, et les R roulés dans les paroles qu’elle a prononcées nous mettent sur un « indice » de compréhension : Ah oui, on entend bien votre joie, Madame, quand vous dites « dar a comer a las chicas » : c’était votre joie de donner à manger aux petites filles... Elle nous répond, ravie : « Josefina ! ». Oui, on vous entend bien. On vous appelait Josefina quand vous étiez petite fille. Et vous continuez d’aimer les oranges que généreusement on vous distribuait. Là, Delphine, quelle joie, on a pu aller au-delà de la sonorité ! Un personnel soignant en complicité avec les bénévoles croisés En nous dirigeant maintenant vers le bureau des infirmiers, aux parois transparentes qui leur permettent de continuer à veiller sur la sécurité des déplacements des patients, nous passons devant la chambre de Jeanine. Dans son fauteuil roulant, elle en barre l’entrée, visiblement préoccupée à repérer le personnel soignant qui lui changerait sa protection. Delphine la rassure : oui, quelqu’un va forcément bientôt passer pour vous changer. Pour la faire patienter, elle la félicite pour la bague et le bracelet assortis : « Je les trouve très jolis. Oh, magnifique, ils vous ont été offerts par votre petite fille ! » Dès la fin de cet échange d’attente, une aide-soignante s’annonce gaiement comme on chante : « Madame, me voilà ! Vous voyez, c’est de vous qu’en premier je vais m’occuper ! ». Finesse de cette aide-soignante qui désamorce les impatiences, et dont le regard joyeux traduit sa complicité avec les bénévoles croisés. Toc, toc, nous voilà dans le bureau des infirmiers. Ils sont deux. « Bonjour messieurs ! Delphine, bénévole petits frères des Pauvres. Il nous reste deux visites ou trois à faire pour accompagner des personnes âgées. Avez-vous quelqu’un à nous suggérer ? » Coopératifs, et attentifs à répondre aux besoins qu’ils pressentent de leurs patients, ils nous fournissent un nom et un numéro de chambre. L’infirmier qui a interrompu de remplir une fiche prend le temps de nous donner des précisions : « C’est une personne en fin de vie. C’est un LISP (lit identifié soins palliatifs). Si elle peut entendre ou comprendre, je n’ai aucune certitude. Mais ce qui est certain, c’est qu’elle est seule, et qu’aucun proche ne l’a jamais visitée. Je vous en parle parce que je sais que la solitude, c’est votre « critère » petits frères ! » Delphine les remercie. Oui, nous allons aller la voir. « Je vais aux deux bouts de la chaîne... Embrasser la vie dans son ensemble » Dis-moi, Delphine, tu es prof de français, et tes élèves, ce sont des collégiens. Et tu es aussi la maman d’un petit garçon de 8 ans, que bientôt, à 16h30, tu iras chercher à la sortie de l’école. Delphine, comment relies-tu ton quotidien, entourée d’enfants, et ce bénévolat de quelques heures sur un après-midi de la semaine, dédié aux personnes âgées ? Delphine, ton visage rayonnant à ma question ne suffit pas à ta réponse ! Delphine sourit. « C’est simple ! Je vais aux deux bouts de la chaîne. Ca, je dirais que c’est embrasser la vie dans son ensemble ! » « Viens, on va saluer André, aux Soins de Suite et de Réadaptation, à côté. Tu vas voir, malgré ses problèmes actuels de santé, il est tonique et rayonnant ! ». Oui, c’est vrai !  Près de la fenêtre donnant sur la rue, il observe les passants entrant et sortant de la bibliothèque en face. Non, pas de souci,  il comprend qu’aujourd’hui, elle est obligée d’écourter sa visite. Et il note bien que jeudi prochain, elle reviendra : tope là, c’est comme si c’était demain ! Orage d’été ou Dieu en colère et le feu du Père En longeant les parois vitrées qui entourent la cour-jardin intérieure, nous réalisons que les prévisions météo pour ce premier jour de l’été s’avèrent exactes : des trombes de pluies s’abattent sur les immenses plaques de vitres. « Là, avant d’aller voir la personne qui nous a été signalée par les infirmiers, je vais saluer Honorine, que je connais. Je ne sais pas dans quel état je vais la trouver. Parfois, elle est dans une présence, et elle apprécie alors les petits échanges de mots de tous les jours. Mais il est arrivé aussi qu’elle prodigue un pur regard dur ! » Quand nous pénétrons dans la chambre d’Honorine, nous percevons en elle la crainte de cet orage d’été. Pour la rassurer, Delphine reformule : « Vous dites, Honorine, c’est joli, que la pluie, c’est la colère de Dieu ». Précisément, à ce moment, un mini grondement de tonnerre se fait entendre, et de petits et très courts éclairs zigzaguent dans le ciel. La peur d’Honorine est maintenant perceptible dans ses yeux. Seule notre présence l’amoindrit. Elle marmonne aussi pour se rassurer. Delphine reprend, « Malgré le petit coup de tonnerre, on vous entend, Honorine, nous parler des éclairs, le feu du père ». Et pour terminer de la rassurer, nous évoquons que le feu a aussi bien des qualités : il nous éclaire et par lui, nos aliments sont cuits ou réchauffés. Sur la main abandonnée, comme un signe de paix et d’amitié Nous voilà à notre dernier accompagnement, pour la dame qui nous a été signalée par les infirmiers. Son visage de très grand âge est émacié. Elle dort. Delphine s’est avancée à pas silencieux, respectueux et souples. A voix basse, Delphine commence à lui parler, afin que sa main qu’elle va poser délicatement sur la sienne abandonnée soit perçue comme un signe de paix et d’amitié. Je m’éloigne un peu, pour laisser en toute intimité cet ultime échange. Quand nous sortons de la chambre, la personne toujours sereinement endormie, Delphine résume en quelques mots la durée de ses 3 ans de bénévolat d’accompagnement de personnes malades : « Ce que je partage avec autrui, ici, ce sont des histoires uniques. Et ce que j’ai aussi le plaisir de partager avec les bénévoles et salariés des petits frères des Pauvres, c’est la culture de l’autre, de l’humain. La fraternité en action, quoi ! » A la sortie de l’hôpital Rothschild, la pluie a recommencé à crépiter. Delphine, vive et enjouée, me salue chaleureusement : « A bientôt ! Là, pffftttt, avec ma capuche, je passe entre les gouttes ! Mon bambin m’attend !». Communication Fraternité Accompagnement des Personnes Malades accompagnementdesmalades@petitsfreresdespauvres.fr Maryvonne Sendra  

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