La prison face au défi du grand âge

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Le quotidien La Croix du 18 juillet consacre un article au vieillissement de la population carcérale avec le témoignage Philippe Le Pelley Fonteny, bénévole des petits frères des Pauvres et depuis plus de dix ans ''spécialiste'' de l'accompagnement de détenus âgés et/ou gravement malades. L'augmentation du nombre de ces derniers pose de façon nouvelle la question du maintien en détention. Reportage à l'hôpital de Fresnes, où l'on est quotidiennement confronté au problème.

Philippe Le Pelley Fonteny entame « sa tournée » de bon matin, comme tous les lundis. À l’Établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF), ils sont plusieurs à attendre la visite de ce bénévole des petits frères des Pauvres. Du fond de sa chambre-cellule, Michel l’accueille avec un large sourire. Comme à chaque fois, l’échange s’arrêtera là.
 
Atteint de la maladie d’Alzheimer, Michel ne sait même plus le motif de son incarcération. Perdu dans un monologue incompréhensible, il répète à l’envi : « Je suis dans mes pensées, il y a beaucoup de choses, c’est normal. » Philippe persiste à lui rendre visite. « Son sourire et sa longue poignée de main me laissent penser qu’il se passe quelque chose au-delà du dicible », se convainc le bénévole.
 
Dans la chambre mitoyenne, Victor, 87 ans, a, lui, toute sa tête. C’est son corps qui ne suit plus. Comme à chaque fois, il égrène à Philippe ses soucis de santé : ses cancers de l’estomac et de la prostate, son ablation du rein gauche, sa prothèse à l’aorte, son triple pontage… « J’ai fini par bénéficier d’une suspension de peine pour raison médicale et par intégrer une maison de retraite, rappelle celui qui vit arrimé à sa bouteille d’oxygène.
 
Mais un expert médical m’a rendu visite là-bas et a jugé que l’amélioration de mon état de santé justifiait ma réincarcération. » Retour donc à la case prison. Mais faute d’être suffisamment autonome derrière les barreaux, Victor a finalement atterri à l’hôpital de Fresnes. « Maintenant, j’attends qu’on m’aiguille ailleurs », soupire le détenu. Une attente qui dure depuis des mois.

Un problème : le vieillissement de la population carcérale

L’EPSNF n’a pas pour vocation d’accueillir des personnes comme Michel et Victor. L’hôpital se destine avant tout à accueillir des détenus malades (soit pour un court séjour, soit pour des pathologies chroniques). Dans les faits, il reçoit nombre de personnes âgées dépendantes, corollaire du vieillissement de la population carcérale.
 
La loi Kouchner de 2002 prévoit pourtant que ceux dont l’état de santé n’est pas compatible avec la détention, c’est-à-dire ceux « atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou leur état de santé étant durablement incompatible avec le maintien en détention », bénéficient d’une suspension de peine. La justice ne peut ordonner leur libération que si deux expertises médicales distinctes confirment que le condamné se trouve dans l’une de ces situations. En 2011, 171 personnes ont bénéficié d’un tel dispositif.
 
« Il reste trop rarement appliqué », soupire Anne Dulioust, médecin en chef de l’établissement. « Résultat : on se retrouve à prendre en charge de nombreux détenus de plus de 60, 70, voire 80 ans. » Ce qui embolise tout le système. « On est amené à renvoyer en détention des malades après une séance de chimiothérapie, alors qu’il faudrait qu’ils restent ici pour reprendre des forces avant la suivante », assure la praticienne.

Une application trop restrictive de la loi Kouchner

Le contrôleur général des prisons dénonce, lui aussi, une application trop restrictive de la loi Kouchner. « Les experts auxquels il est demandé d’examiner la compatibilité de l’état de santé d’une personne détenue avec son maintien en détention ne tiennent pas suffisamment compte des conditions matérielles d’incarcération », écrit-il dans son dernier rapport annuel.
 
Pour Anne Dulioust, le corps médical n’est pas tant à blâmer que les juges d’application des peines. « À force d’être pointés du doigt par l’exécutif, certains d’entre eux finissent par être rétifs à l’idée de prononcer des libérations. Ils sont hantés par la peur de la récidive. » Pour Philippe Le Pelley Fonteny, l’origine de ces difficultés est plus structurelle encore : « Au fond, on fait face à un problème d’acceptabilité sociale. Qui, aujourd’hui, accepte de prendre le risque d’accueillir d’anciens détenus ? »

La suspension de peine « complexe » à mettre en œuvre

Éric Moretti, le directeur de l’EPSNF, bataille comme il peut pour trouver des solutions aux cas les plus inextricables. « La mise en œuvre d’une suspension de peine est plus complexe qu’on ne l’imagine sur le papier. D’abord parce que l’adoption d’une mesure de tutelle ou de curatelle – fréquente pour les personnes malades âgées – ralentit la procédure. Ensuite parce que les maisons de retraite se montrent souvent réticentes à accueillir les sortants de prison. » Conscient de cet écueil, il a récemment engagé plusieurs actions de sensibilisation auprès de ce type de structures.
 
La garde des sceaux assure, elle aussi, être consciente du problème. Entendue au printemps par le Sénat, Christiane Taubira déclarait : « La procédure (NDLR : des suspensions de peine) est complexe et longue, à telle enseigne que nous avons des détenus qui décèdent en prison, alors que nous convenons tous que lorsque le pronostic vital est engagé, il faut que le détenu puisse aller finir ses jours parmi les siens. » La commission Justice-Santé, mise en place conjointement par la chancellerie et le ministère de la santé, devrait prochainement rendre des préconisations en ce sens.
 
En attendant, certaines associations tentent de trouver des solutions d’hébergement. « Aux petits frères des Pauvres, nous avons accueilli douze sortants de prison âgés ou malades depuis 2002 », se félicite Philippe Le Pelley Fonteny. Fernand (85 ans) est l’un d’eux.
 
Ayant bénéficié d’une suspension de peine il y a trois ans, il vit désormais dans un petit studio mis à disposition par l’association. L’octogénaire ne sort quasiment pas de chez lui. « Et pourtant, ma vie d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle de la détention, promet-il. Je sais que je suis libre et rien que cette idée-là, ça vous remet un homme debout ! » Quand on lui demande ce qui le comble le plus depuis sa libération, il n’hésite pas un instant : « Quand ma belle-fille vient me voir, on va au restaurant ! Avant, c’était parloir et rien d’autre ! »
 

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