Au cours du vieillissement, beaucoup de facteurs peuvent contribuer à l’isolement : le départ à la retraite, la perte de mobilité, les troubles mnésiques, le veuvage… Petit à petit, la solitude occasionnelle devient un isolement avéré et les aidants professionnels constituent alors l’unique vie sociale de la personne.
Mais il existe une autre origine à l’isolement des personnes âgées dont nous sommes tous coresponsables : c’est l’exclusion sociale. Depuis bien trop longtemps maintenant, dans nos sociétés occidentales, le vieillard est considéré comme un improductif dont la «prise en charge» coûte très chère. De plus, le grand âge et sa proximité avec la mort renvoie aux mortels «plus jeunes» une vision d’avenir aussi intolérable que l’idée même de leur finitude.
Il n’est donc pas surprenant de voir ces personnes isolées, ces vieux exclus, développer des comportements et commettre des passages à l’acte, souvent à leurs propres dépens, en réaction à cette société qui cherche à les oublier.
Prenons l’exemple des arnaques financières. J. Maisondieu, psychiatre, nous dit ceci : «Aussi dure que soit sa condition, le sujet exploité a une chance que n’a pas le sujet exclu : il est exploitable 1» On crie souvent au scandale face aux diverses arnaques financières dont sont victimes les personnes âgées. Mais dans quelle mesure être exploitée ne peut-elle pas être lue, chez ces personnes, comme une tentative désespérée d’avoir encore pour quelqu’un, ce que Maisondieu appelle une valeur exploitable ?
Le suicide chez la personne âgée peut également être entendu comme une réaction au vécu d’exclusion.
D. Bouley, psychiatre au CHU de St Etienne, souligne que « Le suicide de la personne âgée ne produit en général que peu d’émoi médiatique (…) Parce que la personne âgée est considérée comme malade, incurable et que son état ne suscite aucun espoir, le suicide est confusément amalgamé au délicat problème de l’euthanasie. Il est ainsi, pour la plupart, un geste compréhensible et légitime2 » Or, à l’observation des statistiques sur la question, on constate que le taux de suicide s’élève considérablement à mesure que l’âge augmente.
On peut concevoir le suicide comme un acte autonome et la personne âgée suicidée comme quelqu’un qui a repris le contrôle de sa vie. Mais cette dernière, en provocant elle-même cette mort pourtant si proche, cette mort tellement proche qu’elle a contribué à son exclusion, ne nous envoie-t-elle pas un ultime message sur cette exclusion, cet isolement dont nous sommes, malgré nous, les artisans ?
Face aux effets toxiques de l’exclusion, qu’en est-il du positionnement des bénévoles écoutants des petits frères des Pauvres ? En un mot, la fraternité : « ce lien existant entre les hommes considérés comme membres de la famille humaine » et cette valeur si chère à notre association. La liberté et l’égalité peuvent se légiférer, pas la fraternité. Et c’est bien en son déni que se situe l’origine des exclusions.
En considérant la personne âgée avant tout comme une personne et en essayant, dans notre écoute, de résister à la tentation de banaliser les épreuves qu’elle nous relate sous prétexte que « c’est de son âge », tout en étant vigilants à éviter un apitoiement qui aurait des effets tout aussi néfastes que la banalisation, nous espérons contribuer à lui redonner sa place de personne à la fois unique et membre, au même titre que nous, de la communauté humaine.
Diane Rouzier
Coordinatrice Solitud’écoute – plateforme de Lyon
1 MAISONDIEU J. (2002) « La vieillesse est-elle synonyme d’exclusion ? » – Gérontologie et société n°102 « âge et exclusion »
2 BOULEY D. (2010) « focus sur la prévention des conduites suicidaires de la personne âgée en Rhône Alpes » Centre Jean Bergeret
3 ROBERT P. (1995) Le nouveau petit Robert, Paris.