C’est avec une grande simplicité que Jeanne parle de sa mission de bénévole chez les petits frères des Pauvres. Vingt ans au service des plus isolés : Jeanne a conscience d’être le premier maillon de la chaîne d’accompagnement de l’association en tant qu’«enquêtrice» patentée –depuis douze ans– dans l’implantation de l’Ouest parisien. «Je me suis formée sur le tas», avoue cette bénévole d’exception, satisfaite d’être «bien encadrée par des salariés»pour faire un «travail intéressant» et qui dit aussi avoir «trouvé chez les petits frères une autre famille, des amis, qui [lui] tiennent à cœur». Jeanne T. – enquêtrice bénévole.Signalement et évaluation Les personnes signalées aux petits frères des Pauvres le sont le plus souvent par les partenaires sociaux, mais ce sont de plus en plus les personnes elles-mêmes qui téléphonent à l’association. Le rôle de l’enquêtrice est alors d’aller les voir pour recueillir des informations qui permettront à l’équipe de se déterminer quant à l’acceptation de la «prise en charge» de la personne.Une grande rigueur, un don d’observation aigu, une empathie naturelle pour les personnes visitées, sans se départir de l’esprit d’analyse dont elle doit faire preuve pour rédiger les dossiers des personnes «signalées» : toutes ces qualités, Jeanne Testard n’ose les revendiquer.Pourtant, elle l’affirme, «l’accompagnement commence lorsqu’on voit une personne pour la première fois, la question qui se pose alors est : que peut-on faire pour elle ». La première visite de l’enquêtrice est déterminante. «Il s’agit d’observer la qualité du logement, regarder comment il est tenu, de s’enquérir du suivi médical et de l’hygiène, savoir si la personne est suivie par services sociaux, aborder la question de l’environnement familial et amical, celle de la santé et des ressources, c’est parfois un peu délicat…».La question est d’autant plus urgente qu’une récente analyse des signalements, à laquelle Jeanne a participé avec une autre bénévole de l’implantation, indique des précarités un peu plus marquées qu’il y a quelques années. Plus de la moitié des signalements reçus ont deux origines principales, les partenaires sociaux (CESF, AS, Point Paris Emeraude (PPE), le Centre local d’information de coordination gérontologique (Clic) parisien, les services d’aide à domicile), et pour un peu plus du tiers la personne elle-même, précise une récente analyse des signalements dans les VIIIème, IXème et XVIIIème arrondissements parisiens. «Des profils à la limite de la pathologie», analyse Bettina Roudeix, salariée de l’association. Il apparaît que ces personnes ont souvent très peu de liens avec leur voisinage immédiat, peuvent même vivre quasi recluses dans un logement très dégradé, voire «insalubre». Elles ont connu au cours de leur vie «de multiples ruptures». Ce sont souvent «des femmes qui ont des enfants ou petits-enfants précarisés, ou des personnes qui ont vécu un parcours d’errance avant de se stabiliser dans un logement».Parfois un peu «sauvages», ces personnes «ne désirent pas forcément qu’on aille leur rendre visite régulièrement», analyse Jeanne Testard. Aussi l’implantation parisienne développe-t-elle de nouvelles modalités d’accompagnement, telle l’«action ponctuelle de soutien»,qui consiste, selon Bettina Roudeix, à les «stimuler par des actions de socialisation».La veille téléphoniqueAutre modalité d’accompagnement : la veille téléphonique, mise en place depuis d’octobre 2004, qui a une fonction de «relais social temporaire». Un bénévole appelle régulièrement la personne pour maintenir le lien. «Nous leur téléphonons à peu près tous les quinze jours pour voir comment la situation évolue», explique Jeanne, qui suit elle-même «une dame du XVIe qui déprime et ne tolère pas tellement les visites». Cette «prise en charge légère» semble convenir aux uns et autres, parce que plus dynamique dans son approche et favorisant davantage l’autonomie de la personne. «La veille téléphonique n’est pas indéfinie, précise toutefois Jeanne, elle est faite pour les personnes que nous ne savons pas comment orienter». Il s’agit de se rendre compte pendant cette période d’écoute si «elles peuvent être amenées à une prise en charge complète ».Même si le montant des ressources intervient dans le choix des prises en charge, Jeanne dit se soucier également des «pauvretés relationnelles». Trop de gens, affirme-t-elle «se plaignent de leur solitude». Elle est aussi préoccupée par la recrudescence dans le XVIIIe de personnes réellement précaires, et cite le cas «d’un monsieur yougoslave [qu’elle va aller] revoir avec le bénévole de l’équipe précarité. Il est à la retraite, ne touche que le RMI et n’a jamais contacté une assistante sociale ».«Dans le même immeuble, poursuit-elle, il y a un Algérien, Kabyle, qui a travaillé dans la blanchisserie. Je l’ai trouvé complètement paumé, encerclé par des tas de vêtements. Je pense qu’il est en mauvaise santé. À la demande de Bettina, j’ai alerté une équipe mobile à l’hôpital Bretonneau qui s’occupe de lui.» La décision de prise en charge n’a pas encore été prise pour ces deux personnes, mais, assure Jeanne, «nous ne les laisserons pas tomber ». Ainsi cette présence fraternelle, ce sentiment de pouvoir compter à nouveau pour quelqu’un, associés à des espaces d’écoute privilégiés, permettent à ce public précarisé de se préserver de complications psychologiques ou sociales plus perturbatrices.
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