La dénutrition des personnes âgées est une maladie fréquente mais encore sous-diagnostiquée. En France, environ 2 millions de personnes sont touchées, dont près de 800 000 personnes âgées, avec 400 000 personnes âgées à domicile et 270 000 résidents en Ehpad concernés (Sources : Collectif de lutte contre la dénutrition / Assurance maladie / ARS – 2024-2025).
Pour les personnes âgées dénutries, les repas sont souvent synonymes de contraintes, de fatigue, voire de dégoût pour certains aliments. Pour les proches et les aidants, la question revient sans cesse : comment redonner envie de manger et limiter la dénutrition chez une personne âgée ?
Le Pr Agathe Raynaud-Simon, gériatre et nutritionniste, Chef du Département de Gériatrie de l’hôpital Bichat (Paris) et trésorière du Collectif de lutte contre la dénutrition, partage des repères simples pour dépister, prévenir et mieux accompagner la dénutrition des personnes âgées, à domicile comme en Ehpad.
Comment dépister la dénutrition chez une personne âgée ?
Les causes possibles de la dénutrition sont multiples (maladie chronique, cancer, troubles de la déglutition, isolement, difficultés pour faire les courses ou cuisiner, problèmes bucco-dentaires, dépression, etc.). Mais les critères de diagnostic sont aujourd’hui clairement établis par la Haute Autorité de Santé pour les personnes de 70 ans et plus.
Les signes visibles de la dénutrition
- Une perte de poids (≥ 5 % en 1 mois ou ≥ 10 % en 6 mois ou ≥ 10 % par rapport au poids habituel avant le début de la maladie)
- Un indice de masse corporel inférieur à 22
- Une diminution de la force et de la masse musculaire (par exemple difficulté à se lever d’une chaise, à porter les courses, à monter les escaliers)
Les causes qui expliquent la dénutrition
Une baisse des apports alimentaires (mange moins, supprime des repas, grignote seulement quelques aliments)
Une maladie aiguë ou chronique qui augmente les besoins ou perturbe l’alimentation (infection, cancer, troubles digestifs, maladie neurodégénérative, etc.)
Il n’est pas normal de maigrir parce que l’on vieillit. Une personne âgée qui vieillit en bonne santé ne « doit » pas perdre du poids. Toute perte de poids involontaire doit alerter et justifier un avis médical pour dépister une éventuelle dénutrition.
En pratique, si vous constatez chez une personne âgée :
des vêtements qui flottent,
une perte d’appétit sur plusieurs semaines,
une fatigue inhabituelle, plus de chutes, une marche ralentie,
il est important de parler rapidement de la dénutrition au médecin traitant pour organiser un dépistage et, si besoin, une prise en charge nutritionnelle.
Comment éviter la dénutrition chez les personnes âgées ?
Prévenir la dénutrition des personnes âgées, c’est agir tôt, avant que la perte de poids ne s’installe. Le Pr Agathe Raynaud-Simon rappelle les bases :
« Ce qui est important, c’est de conserver une alimentation variée, de continuer à faire trois vrais repas par jour, de continuer à manger de la viande, des œufs ou du poisson c’est-à-dire des protéines et des laitages. L’objectif, c’est de maintenir un poids stable et une alimentation variée. Parallèlement, il est primordial de poursuivre une activité physique -adaptée à la personne bien sûr- (par exemple, marcher, monter les escaliers, de suivre des séances de groupe d’activité physique adaptée…). Ce qui compte, c’est de toujours faire travailler ses muscles pour les garder bien fonctionnels. »
Dénutrition d’une personne âgée à domicile : les conseils de la gériatre
Lorsqu’une personne âgée vit seule, l’envie de cuisiner peut rapidement disparaître. Les repas se réduisent, la perte de poids s’installe, la dénutrition progresse. Pourtant, il existe de nombreuses façons de redonner de l’appétit à une personne âgée dénutrie à domicile.
Pour le Pr Agathe Raynaud-Simon, l’essentiel est d’abord de remettre le plaisir au centre :
« L’idée, c’est de ne pas être trop rigide sur l’alimentation quand on a des difficultés à s’alimenter. Les personnes âgées peuvent donc manger ce qui leur fait plaisir, sans restriction particulière. »
Miser sur le plaisir et la souplesse
Et pour retrouver l’appétit et se faire plaisir en mangeant, le médecin recommande d’utiliser tous les subterfuges…
si la personne mange davantage devant la télévision parce qu’elle a l’impression d’être moins seule, ce peut être une bonne solution ponctuelle ;
si elle aime les condiments (ketchup, mayonnaise, moutarde…), ils peuvent aider à rendre les aliments plus appétissants ;
ne pas hésiter à proposer des plats simples, déjà prêts, tant qu’ils restent suffisamment nourrissants.
« S’il y en a pour qui c’est plus sympa de manger devant la télévision parce qu’ils sont ainsi plus ou moins en compagnie, pourquoi pas ! S’ils aiment les condiments (ketchup, mayonnaise, moutarde…), il ne faut pas s’en priver non plus. », précise-t-elle.
Les personnes âgées peuvent donc manger ce qui leur fait plaisir !
Le rôle des proches : transformer la visite en moment festif
Quant à l’entourage qui vient rendre visite occasionnellement à une personne âgée dénutrie, il est aussi possible d’agir à son échelle.
Préparer un repas festif et adapté aux goûts de la personne :
identifier en amont ce qu’elle aime vraiment,
faire les courses en ce sens,
soigner la présentation, la chaleur du moment.
Ne pas avoir peur de proposer des aliments riches :
éviter de « brider » l’apport calorique par peur de « couper l’appétit »,
proposer des plats consistants si la personne les apprécie.
Multiplier les collations dans la journée :
jus de fruits, gâteaux, viennoiseries, chocolat, fromage, yaourts, compotes…
ces collations sont souvent mieux acceptées que de gros repas.
« Il ne faut évidemment pas forcer parce que c’est pénible de manger quand on n’en a vraiment pas envie mais plus on propose, plus finalement la personne va prendre. Enfin, proposez des collations, qui sont plutôt bien acceptées : jus de fruits, gâteaux, viennoiseries, chocolat ou fromage sont des bonnes idées ! »
Ne pas oublier la dimension affective
L’accompagnement d’une personne âgée dénutrie ne se joue pas uniquement dans l’assiette. Le lien affectif est un levier essentiel pour redonner du sens à l’effort de manger :
« L’encouragement, c’est important : le fait de dire « c’est possible de reprendre du poids, tu peux reprendre des forces. Reprendre des forces », c’est souvent un terme auquel ils sont sensibles. Pas la peine de parler de dénutrition, terme inquiétant qui pour eux peut évoquer la guerre ou la famine, il faut plutôt parler de « reprendre des forces, bouger… », des perspectives plus agréables… »
Dénutrition d’une personne âgée en Ehpad : comment agir quand on est visiteur ?
Alors que certains Ehpad accordent un soin particulier à la cuisine, d’autres n’ont pas encore pu s’organiser en ce sens. Les repas « tout mixés » sont ainsi peu appétissants et n’empêchent pas toujours les troubles de la déglutition. A contrario, la diversité des couleurs dans l’assiette stimule l’envie de manger…
En tant que visiteur, il est possible d’illuminer un peu le quotidien d’un résident d’Ehpad en lui apportant des mets qui lui font plaisir.
Apporter des aliments adaptés et vraiment plaisants
Lors d’une visite, il est souvent possible de compléter la prise alimentaire de la personne âgée :
en apportant des gâteaux qu’elle apprécie,
des petites douceurs individuelles avec emballages faciles à ouvrir,
des produits laitiers, chocolats, fruits faciles à manger, selon les consignes de l’équipe soignante.
Quelques règles de prudence :
vérifier auprès de l’Ehpad qu’il n’existe pas de contre-indication spécifique (régime sans morceaux, allergies, diabète, etc.) ;
respecter les éventuels troubles de déglutition ou de mastication ;
surveiller les dates de péremption.
« Veillez à apporter des aliments qui sont adaptés à la personne (si elle a des troubles de déglutition ou de mastication notamment). Pensez par exemple aux gâteaux qui sont bien appréciés (avec des emballages faciles à ouvrir). Faites toutefois attention au délai de péremption ! »
Pr Agathe Raynaud-Simon
Gériatre et nutritionniste
Soigner aussi l’hydratation
La dénutrition des personnes âgées va souvent de pair avec une déshydratation. Beaucoup de résidents se disent « lassés » de l’eau plate. Quelques idées pour les aider à boire davantage :
proposer de l’eau gazeuse ;
ajouter un peu de sirop pour apporter couleur et goût ;
varier les boissons : tisanes, bouillons, jus de fruits adaptés à la situation médicale.
« L’eau gazeuse est un bon choix parce que c’est plus facile à déglutir car les petites bulles leur piquent la gorge donc elles savent où est l’eau. De l’eau gazeuse agrémentée de sirop, de la couleur, du goût… ça change et ça fait plaisir ! », explique la gériatre.
Dénutrition et perte d’appétit : rester encourageant, pas culpabilisant
Environ 4 à 10 % des personnes âgées vivant à domicile sont touchées par la dénutrition, et jusqu’à 15 à 38 % des résidents en Ehpad, tandis que 30 à 70 % des personnes âgées hospitalisées souffrent de dénutrition (Source : Haute Autorité de Santé / Assurance retraite, 2021–2025)
L’anorexie fait partie de nombreuses maladies chez la personne âgée, et la dénutrition est souvent une maladie silencieuse. Face à une personne qui mange peu, il est fréquent de ressentir frustration, inquiétude, voire agacement.
Pourtant, pour aider vraiment, il est essentiel de :
éviter les discours culpabilisants du type « tu ne fais aucun effort », « tu ne m’aides pas » ;
garder en tête que la perte d’appétit n’est pas un choix ni un caprice, mais un symptôme ;
rester dans un registre d’encouragement concret :
« on va essayer ensemble de reprendre un peu de forces »,
« on va voir avec le médecin ce qui peut t’aider à mieux manger »,
« chaque petite bouchée compte pour te redonner de l’énergie ».
La perte de poids d’une personne âgée ne doit jamais être banalisée, mais l’accompagnement doit rester bienveillant, réaliste et positif, en mettant en avant les bénéfices très concrets de la reprise de poids sur la marche, l’équilibre, la fatigue, le moral.
Soutenir un proche âgé, c’est aussi préserver son appétit
L’isolement fragilise l’alimentation des personnes âgées. Les Petits Frères des Pauvres agissent chaque jour pour rompre la solitude : repas de Noël, animations collectives, visites à domiciles, etc.
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