Nancy : Conférence sur le thème de la compassion

11 juin 2012
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Le 4 juin dernier, Dominique Miel, participait en tant que responsable locale de l'association des petits frères des Pauvres à une conférence sur le thème de la compassion à l'Espace Saint-Jean de Nancy.

Ce lieu de rencontre est un espace culturel protestant où les différences se vivent dans l'écoute et le dialogue, un espace de recherche où poser librement des questions de notre temps. C'est dans ce cadre qu'il a organisé un cycle de conférences sur la notion de compassion, afin de jeter un regard renouvelé sur un mot oublié, souvent mal compris de notre époque, aussi éloigné des relents attentistes de la simple pitié que de l'approche statistique et comptable de l'étude sociologique. Tout en présentant l'historique de l'association, Dominique s'est attachée à en définir le sens à travers l'action des petits frères des Pauvres. Bonjour, Tout d'abord, merci à vous, Monsieur Job pour votre invitation. Quand Mme Dudebout m'a proposé de venir exposer ce que le mot « compassion » signifiait pour les petits frères des Pauvres j'ai dans un premier temps refusé, les mots « espace Saint Jean, conférence, public »… et surtout le nom et qualité des différents intervenants précités m'intimidait beaucoup. Mais la troisième orientation du projet associatif petits frères des Pauvres 2010-2015 nous convie à «Témoigner, alerter», je me devais donc d'être là ce soir. Je n'aurais pu le faire sans l'appui de Pierre-Bernard Forissier, notre délégué régional, salarié de l'association, qui répond toujours présent quand nous, bénévoles de terrain ou responsables de l'association avons recours à lui. Les deux autres objectifs de ce projet « avec les plus pauvres, vivre la fraternité » nous engagent à « accompagner » et à « agir collectivement » Je salue et remercie Madame le Docteur Worms qui a évoqué cette dimension « fraternité » dans sa conclusion à la conférence du mois dernier. Il nous revient le rôle de clore ce cycle très intéressant de conférence sur la compassion, notre propos sera surement moins philosophique mais il correspondra à une réalité de terrain. La compassion, un élan fraternel Armand Marquiset nait en 1900, à Paris, dans une famille riche d'argent et de relations. Sa jeunesse se passe en dilettante, il veut être artiste et joue du piano. C'est sa grand-mère qui attristée de le voir vivre ainsi, lui dit : « Mon pauvre Armand, tu finiras sur la paille si tu continues dans cette voie ! ». Pour lui remettre les pieds dans la réalité de l'époque, elle l'emmène chez les Pauvres. Si la guerre est finie, beaucoup de fils, de pères et de maris ne sont pas rentrés. Il réalise que sa vie était jusque-là vide de sens. Agé de 30 ans lorsque sa grand-mère meurt, il prend sa place à « La mie de pain » et sert la soupe aux démunis. Le second conflit mondial le voit aider les réfugiés à Lyon, il se déplace en Espagne et en Afrique du Nord. La guerre finie, il va apporter des repas chauds mais aussi, et surtout sa présence chaleureuse aux personnes âgées de Paris. Rapidement, il rassemble autour de lui d'autres personnes, reçoit des dons, des biens immobiliers provenant de gens sensibles à son message : « Des fleurs avant le pain » C'est-à-dire la relation, l'écoute, la fraternité avant la nourriture qui comble un manque physiologique certes, mais pas le vide d'une vie isolée. Le premier Noël, en 1945, le voit offrir des milliers de colis grâce aux bénévoles qu'il a su motiver par son appel car ce moment de l'année est le plus dur pour les personnes abandonnées et malades. En 1946, les petits frères des Pauvres se constituent en Association, non confessionnelle et apolitique, elle se dote en 1998, en complément de ses statuts d'une charte qui affirme ses valeurs, présente ses missions, son action et d'un pacte associatif réactualisé tous les 5 ans et qui prend en compte les besoins reconnus, l'évolution de la société et des politiques sociales (action en faveurs des Vieux migrants dans foyer ADOMA). Il émane des réflexions locales des bénévoles et des salariés qui œuvrent dans les divers groupes en France en équipe autonomes et responsables. C'est toujours le même élan fraternel qui motive encore les bénévoles aujourd'hui dans un réseau national et international ( en France, 250 équipes pfP ; au rapport annuel 2010 : 9500 personnes accompagnées par 9000 bénévoles ) Un combat quotidien Attendrissement, commisération, pitié, humanité, sympathie, sensibilité sont les synonymes du dictionnaire. La compassion n'est pas une émotion, c'est une prédisposition à la perception et à la reconnaissance de la douleur d'autrui, quelle qu'elle soit, entrainant une réaction de solidarité active. Il s'agit bien d'une variante d'empathie qui sous-entend que l'on soit détaché de soi-même sans quoi on peut la confondre avec l'apitoiement et sa composante, la complaisance, ou la pitié et sa connotation de condescendance. Ces deux distorsions de la compassion sont stériles parce qu'il manque une aide, un soutien actifs et efficaces dans la mesure du possible. La solitude dont souffre la majorité des personnes signalées aux pfP est cruelle. Elle émane de différents facteurs et le propos de cette soirée n'est pas d'en faire le catalogue. Elle est d'autant plus cruelle quand il subsiste une famille dont les liens sont distendus, voire inexistants, l'entrée en institution est un traumatisme pour certains ; avec la vieillesse, le amis se raréfient. Si la majorité des personnes accompagnées conservent la visite quotidienne de nombreux professionnels, il leur manque la relation fraternelle, amicale, individuelle. Nous, bénévoles, écoutons cette souffrance, cette solitude, sans jamais porter de jugement, et adaptons notre action en fonction des besoins. La relation qui s'installe est le choix de la personne accompagnée. Agir avec compassion nous invite à proposer, sans jamais imposer, avec infiniment de respect, dans une relation d'égal à égal. Le bénévole ne doit pas réagir à la place de la personne, identifiant la situation par rapport à son propre vécu. Cette attitude bienveillante aide, soutient la personne en souffrance qui se sent reconnue et acceptée comme telle et l'on peut observer dans certain cas, lorsque la communication est installée, une personne accompagnée qui se redresse, qui reprend confiance. Parfois, deux solitudes se rapprochent, des amitiés se créent, des numéros de téléphones s'échangent, quelque fois même, le rôle de médiateur du bénévole permet aux liens familiaux de se renouer et il faut dans ces moments-là savoir prendre du recul, on a tout gagné puis que la personne accompagnée va mieux. Agir avec compassion, c'est prendre en compte et reconnaître les besoins essentiels à la vie et jusqu'au bout de la vie. Je m'appuie ici et cite des passages du mémoire de master de gérontologie d'Alain Wagner (1), vice- président de l'association : Besoin d'amour : l'être humain en a un besoin vital, il en donne et en reçoit de ses parents, de ses enseignants, de son conjoint, de ses enfants, et plus tard des professionnels et bénévoles qui l'aideront à franchir les dernières étapes de sa vie. Besoin de sécurité : son chez-soi devient, avec l'âge avançant, l'ultime refuge où il a ses souvenirs, ses repères, qui garde en mémoire les moments de bonheur ou de peine passés seul ou en famille. Lieu qui a vieilli sans doute, qui a perdu son confort et qui présente des pièges, mais qui lui parle de ce passé souvent idéalisé au moins lorsque il en parle aux autres. Même si la personne ne peut plus vivre seule malgré toutes les aides apportées, elle s'accroche à ce logement qui représente tout pour elle. Le départ se fait souvent dans l'urgence, imposé par les circonstances, la famille, il précipite la personne dans une nouvelle situation angoissante pour la majorité. Besoin d'écoute : c'est là surement le rôle le plus important du bénévole qui ne doit pas seulement entendre, mais les paroles exprimées doivent avoir un retentissement en lui. Je porte attention à ce qui m'est dit, à la façon dont les choses sont exprimées, aux termes employés. Je suis ouvert et disponible au dialogue. Je peux rassurer sans toutefois prendre parti. Les paroles vont quelquefois nous déplaire, voire nous choquer mais il faudra prendre le recul nécessaire et nous projeter dans un passé que nous n'avons pas connu mais qui a marqué de façon indélébile ceux qui l'ont vécu. La personne écoutée doit sentir que ces problèmes sont au moment où elle parle, les seules choses qui préoccupent le bénévole qui est à ses côtés. Besoin de reconnaissance : chaque individu a un besoin fondamental de se voir reconnu et valorisé, d'autant plus que l'avancée dans la vie nous voit perdre conjointement les connaissances acquises lors de nos études, de nos vies professionnelles familiales et sociales. Besoin d'affirmation : Il n'est pas possible de ne pas entendre l' « affirmation » de l'Autre et l'interprétation qui en résultera est l'une des forme la plus subtile et la plus dangereuse dans la relation d'aide, ascendant de l'aidant sur l'aidé, du bénévole sur la personne accompagnée et vice-versa. La démarche constructive, c'est d'entendre la personne, comprendre au travers des mots, des gestes, des regards, des silences, se placer aux côtés d'elle, même si les mots ne sont pas partagés. Les propos de la personne sont sa vérité, les nier, reviendrait à fermer la porte, à la rendre invalide. Besoin de liberté : Pour Colette Portelance, « la liberté, c'est l'aptitude à être responsable de sa vie, à arrêter des choix, à prendre des décisions et avoir la capacité d'en assumer les conséquences ». Ce besoin va dépendre du niveau de dépendance de la personne qui avec l'âge verra son autonomie régresser et qui va se retrouver à la « merci » des soignants et aidants. La charte des droits et libertés de la personne âgée devra se voir respectée dans tous les aspects de la vie quotidienne. A nous bénévoles d'y être sensibilisés et vigilants. Besoin de créativité : c'est une fonction naturelle de l'individu dont le fonctionnement assure le développement des capacités imaginaires et pratiques. Besoin peu exploité par manque de temps, de don, de proposition, d'intention à donner libre cours à l'imaginaire. A la vieillesse, malgré les fragilités physiques, l'individu aimera, souhaitera laisser une trace. « Créer, c'est exister » Sachons profiter de ce temps pour satisfaire ce besoin, source d'émotions, de sensibilité, de plaisir et d'échanges. Cela permettra à ceux qui s'y adonnent de rencontrer, de discuter, de confronter des idées, de s'enrichir encore et toujours au contact des autres. Agir avec compassion, c'est agir avec son cœur, avec humanité, mais aussi sa personnalité. Il appartient aux responsables de l'association d'être vigilants et d'avoir toujours un regard sur l'accompagnement des bénévoles. Certains poussent la porte chargés d'histoires personnelles douloureuses et demandent à être écoutés eux aussi. Nos réunions mensuelles sont des espaces de paroles où tout un chacun peut échanger, exprimer ses difficultés. La fraternité se vit déjà bien évidemment entre nous, nous travaillons en équipe et des temps de formation sont proposés. Agir avec compassion, c'est « prendre le risque d'une Rencontre avec cet Autre vulnérable, c'est suivre un chemin de responsabilité et d'humanité ». Accompagner avec compassion, c'est prendre le bras d'une personne inconnue, que nous apprendrons au fil des rencontres à découvrir. Son passé, sa famille, son entourage, son parcours de vie nous faciliteront sa connaissance, nous aideront à appréhender et à anticiper les besoins, les demandes. Au-delà de la maladie, du handicap et du grand âge, la personne accompagnée assure sa part de notre destinée collective et demeure notre Frère en humanité. Pour illustrer mes propos je vais vous conter l'histoire de quelques rencontres : Huguette, 85 ans, signalée par une bénévole d'ALMA. Nous la rencontrons. Veuve, elle est venue habiter à Nancy pour se rapprocher de ses enfants. C'est vrai qu'elle est vraiment dépressive, pleure tout le temps que dure l'entretien en nous contant son histoire de vie. Mais, considérant la proximité de ses deux enfants, la commission « évaluation de signalements » décide que cette dame ne justifie pas d'un accompagnement des petits frères des Pauvres. La bénévole ALMA nous rappelle et insiste, Huguette est vraiment dépressive, elle a besoin d'un accompagnement. Après une deuxième évaluation, décision est prise d'un accompagnement occasionnel avec invitation à participer à quelques repas et à l' « animation mémoire » puisqu'Huguette le souhaite. Au fil du temps, elle noue des relations amicales avec les bénévoles rencontrés, se redresse, propose même ses service de couturière pour l'association, retrouve en quelque sorte un statut social. Et décide même un jour de dire à son psychiatre qu'elle voyait régulièrement, qu'elle ne veut plus ni traitement ni rendez-vous… Aujourd'hui, suite à des complications chirurgicales importantes, Huguette n'ose plus sortir et déprime de nouveau. Nous avons alerté les bénévoles qui la connaissent bien, espérant susciter appels et visites plus nombreux pour qu'Huguette retrouve l'élan qui lui allait si bien. Joël, plus jeune, 56 ans, en grande précarité, signalé par «Espoir 54» est venu pour la première fois au repas de Noël 2011. Pressés par «Espoir 54», nous l'avions réinvité plusieurs fois à l'accueil du mercredi, considérant que valide, il pouvait venir en bus. Mais il a fallu qu'une bénévole aille le chercher une première fois pour l'accompagner jusqu'au local ; depuis, il y revient régulièrement, me confiant en partant « à mercredi prochain, oh oui, je reviens qu'est-ce que je suis bien chez vous ! » Paul, 62 ans, se signale lui-même en appelant car il a vu une information à la télévision. A vécu un drame familial avec l'accident mortel de son épouse et de sa petite fille. Parkinsonien, il se sent vraiment seul. Il a trouvé avec ses bénévoles l'écoute qu'il attendait. Au chômage, handicapé et à deux années de la retraite, sa situation sociale n'était pas claire mais l'accompagnement de sa bénévole a permis de clarifier et d'obtenir les aides qui lui revenaient. Simone, 92 ans, veuve, sans enfants, sans famille (juste une cousine vosgienne), coquette, indépendante volontaire et autonome qui jusque cette année aidait encore une amie dans un pressing. Signalée par son infirmière, elle bénéficiait d'un accompagnement ponctuel avec invitation à des repas familiaux à Dommartemont. Des soucis de santé, la fermeture du pressing font basculer son moral et sa vitalité. Elle ressent alors plus profondément une solitude qui l'enferme dans l'appartement qu'elle a toujours occupé, pense à entrer en institution, en visite plusieurs, mais recule. Un duo de bénévoles est mis en place pour l'écouter, l'entourer et l'aider dans ses démarches. Elle sait où et qui elle peut appeler. Aujourd'hui, Simone a laissé un message sur le répondeur, disant son angoisse de partir en maison de repos et son impuissance à préparer seule sa valise. Françoise a relevé le répondeur, elle est allée chez Simone… Je vous remercie pour votre attention. Dominique Miel, 4 juin 2012 1) Mémoire master de gérontologie, Parcours de vie, vieillesse singulière, Université de Strasbourg, Alain WAGNER 2012.

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