Découvrez 13 portraits émouvants de personnes âgées en situation de pauvreté en France
L’exposition « Pauvres Vieux » de Pierre Faure et Magali Sennane présente des portraits sensibles de personnes âgées en situation de pauvreté en France. Ces images poignantes révèlent l’isolement et les privations vécues par des millions de seniors, et invitent à réfléchir sur notre solidarité et notre humanité.
600€/MOIS
Je n’aime pas déranger. Je suis habituée à vivre comme cela. Mais, c’est vrai que, parfois, j’ai le cœur lourd.
Le soleil de l’après-midi filtre à travers les stores à moitié baissés de l’appartement HLM situé au cinquième étage d’une tour de Montreuil. Dans ce décor figé, Alice, 79 ans, semble suspendue entre deux mondes. Face à la table à manger qui trône au milieu du salon elle se tient immobile dans son fauteuil, une canne à portée de main.
Dans la pièce, des meubles en formica d’un autre temps côtoient bibelots et cadres photo, témoins silencieux d’une vie passée. Née en Algérie, Alice a traversé une existence mouvementée avant de s’installer dans cette banlieue parisienne. Son parcours l’a menée d’Israël, où elle a servi dans l’armée, à la France. Des expériences qui ont forgé son caractère bien trempé. Aujourd’hui, elle mène ses dernières batailles quotidiennes dans cet appartement.
Infirmière de formation, Alice a travaillé à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris avant de déménager en Dordogne avec son premier mari. Cette période sombre, marquée par les mauvais traitements de sa belle-mère, la pousse à fuir. De retour à Paris, elle séjourne plusieurs mois à l’hôtel avant de retrouver un poste à l’hôpital et de dénicher un logement à Montreuil. C’est ici qu’elle élèvera ses trois enfants, aujourd’hui âgés de 39, 40 et 52 ans, tous désormais partis en Israël.
À 60 ans, un AVC chamboule sa vie. Après trois mois de coma et un an de rééducation, elle doit réapprendre à marcher, à parler et à vivre avec l’usage d’un seul bras. « On fait avec. Mais je n’imaginais pas ma vie comme cela : handicapée », lâche-t-elle, son franc-parler intact malgré des difficultés d’élocution qui persistent. Durant sa convalescence, elle rencontre Claude, son deuxième mari, un joyeux luron qui prendra soin d’elle jusqu’à son dernier souffle. « Il est tombé de fatigue à force de s’occuper de moi. », livre-t-elle. Avec lui ses rêves d’acheter une maison en Israël disparaissent également.
La solitude du quotidien est adoucie par la présence discrète de Lydie, son chat. « Je ne sors pas sans être accompagnée, c’est compliqué avec ma canne, les portes du hall d’entrée sont difficiles à pousser. » L’ascenseur de l’immeuble parfois capricieux et l’appréhension du quartier qu’elle juge trop dangereux ont réduit son univers à ces quatre murs.
Avec une retraite de 600 euros par mois, gérée par un tuteur, Alice se contente de plaisirs simples. La télévision et quelques livres sont devenus ses principales occupations. Elle évoque avec nostalgie ses talents culinaires d’antan. « Avant, je faisais tout moi-même », soupire-t-elle, en montrant les petits pains industriels qui ont remplacé ses préparations maison. Son auxiliaire de vie se charge de lui faire les courses quelques fois dans le mois. Dans le cellier, des boîtes de conserve sont empilées. Dans le frigo, quelques pêches côtoient des bouteilles d’eau. « Le soir je mange une soupe, je fais ma toilette, puis je me mets au lit. », conclut-elle.
Les visites sont rares, limitées à quelques bénévoles des Petits Frères des Pauvres et des fidèles de sa synagogue qui lui apporte des vivres les jours de shabbat. « Je n’aime pas déranger. Je suis habituée à vivre comme cela. Mais, c’est vrai que, parfois, j’ai le cœur lourd », fini-t-elle par confier.
Alors que le jour décline, Alice se tourne dans son fauteuil, Lydie lovée à ses côtés. D’un geste devenu automatique, elle allume la télévision. Les premières notes du dernier tube de Julien Doré s’élèvent, mélancoliques. Dans le silence de l’appartement, Alice chantonne les paroles d’une chanson qu’elle semble désormais connaître par cœur. Sa voix, soudainement douce, fluette, se mêle à celle de l’artiste : « Si tu savais comme c’est beau. Si tu voyais comme c’est beau… »
Depuis cinq ans, Alice est accompagnée par Les Petits Frères des Pauvres. Des bénévoles lui rendent visite une fois par semaine, offrant une présence régulière dans son quotidien. Alice a participé à un séjour de vacances en Bretagne, où elle a pu voir la mer. Cette expérience lui a permis de sortir de son environnement habituel et de vivre de nouveaux moments. Alice a développé une relation particulière avec Anne, une bénévole de l’association. Bien qu’Anne ait quitté la région, l’accompagnement se poursuit avec d’autres bénévoles assurant une continuité dans son soutien.
980€/MOIS
On m’a dit : “Tout seul dans un HLM, tu ne vas pas y arriver”. On m’a presque forcé pour venir ici.
« Baroudeur, il aime vivre libre et le dira spontanément. » À lire les quelques lignes de présentation envoyées par la bénévole des Petits Frères des Pauvres, on imaginait un Daniel loquace. Prêt à raconter des aventures que peu d’entre nous auraient vécues. Baroudeur, s’il l’a été autrefois il n’en reste plus rien. Le voilà à 76 ans, dans un petit studio niché dans un immeuble de l’agglomération Nantaise. L’endroit est un peu exigu, on ne sait où s’asseoir. Il laisse la chaise par courtoisie. Lui, choisira le petit lit au milieu de la pièce. Une jambe dans le vide, une autre repliée sous lui, le bras droit en appui et le buste contre l’oreiller.
Daniel n’est pas impoli, ni rustre, ni désagréable. Il a la voix douce et le sourire désolé. Possiblement mal à l’aise avec l’exercice. Avant tout, blasé. Il accuse la chaleur de l’été : « Sinon, sans ça, ça irait, je serai en forme ». Pourtant, Daniel a un regard qui raconte qu’il en a vu d’autres. C’est depuis que les problèmes de santé sont arrivés que tout a dégringolé. De l’arthrose qui l’oblige à se déplacer avec une canne. Et par la même occasion le mental a suivi. Il lâche : « Quand tu peux plus te déplacer et que tu dépends de quelqu’un, c’est énervant ».
« C’est juste un choix de vie. »
Difficile, à le voir ainsi, de l’imaginer dans ses années glorieuses de joueur de poker à Monaco. « J’avais beaucoup de chance à cette époque. C’est comme ça que je gagnais ma vie, j’avais un appartement, une voiture. » Sans l’expliquer, il raconte avoir tout revendu pour partir en Amérique du Sud. Brésil, Pérou, Chili… Il est remonté en stop jusqu’aux États-Unis. Le périple a duré six ans. Dans son ancienne vie, Daniel a aussi été pêcheur en Norvège, raseteur en Camargue, livreur à Paris. Jamais il ne dira vraiment pourquoi, ni comment. « C’est juste un choix de vie. Je me suis dit que si je travaillais dans une usine toute ma vie ça ne me plairait pas. »
Il est arrivé à Nantes en 1996 par hasard : il s’est endormi dans le train alors qu’il allait à un festival à La Rochelle. Il y a deux ans, une assistante sociale lui a trouvé cet appartement. À condition qu’il se mette sous curatelle. « On m’a dit : “Tout seul dans un HLM, tu ne vas pas y arriver”. On m’a presque forcé pour venir ici. » Mais la situation ne le dérange pas totalement : c’est vrai qu’il n’aime pas trop faire la paperasse. Et l’association qui se trouve au rez-de-chaussée s’occupe de gérer certains dossiers pour lui. « Avec la vieillesse, on perd un peu la mémoire. C’est énervant. À la retraite, je me suis dit que j’allais être tranquille, mais non. »
« Ça remet plein de choses en question. »
C’est lorsqu’il a rencontré les Petits Frères des Pauvres, il y a deux ans, qu’il s’est rendu compte de ce que c’était la vieillesse. Et que ça la concernait lui aussi. « Ça remet plein de choses en question. » Ce qui est sûr, ce qu’il ne finira pas dans un EHPAD. Pas comme certains malheureux qu’il croise à l’Association. « Je préfère encore être à la rue. »
Il y a quelques années, il vivait de l’allocation adulte handicapée. La retraite s’est tout juste alignée sur le même montant : 980 euros. Il ne sait pas pourquoi. Il a bien essayé de toucher un peu plus, mais l’administration l’a vite rattrapé. Il rit et hausse les épaules comme quelqu’un qui aurait tenté un coup de bluff, puis aurait été démasqué. « Ça a marché deux mois, ensuite, ils m’ont dit : “Non, non, vous allez toucher la même pension qu’avant”. » La somme passe essentiellement dans le loyer -280 euros de sa poche -, les paniers-repas livrés le midi et l’auxiliaire de vie. Les sorties sont limitées. Pour s’occuper, il regarde la télé, bouquine, reçoit des visites de temps en temps. La vie de sédentaire. « Ah oui, ça aussi, c’est énervant. »
Daniel est accompagné par PFP depuis deux ans. Jeux, discussions et sorties permettent de rompre quelque peu son isolement. Un séjour de vacances à Cabourg et à Noirmoutier lui ont permis de renouer avec le voyage. Daniel est toujours en quête de sortir de chez lui pour se retrouver dans des lieux publics où l’ambiance y est stimulante et joyeuse.
900€/MOIS
Quand on ramasse la pluie, quand il fait froid ou très chaud, ce n’est pas toujours facile. La dernière fois, sous le déluge j’ai eu envie de démissionner. Mais, quand on en a besoin, on le fait.
Depuis le mois d’octobre, c’est la même routine. Chaque matin, du lundi au vendredi, Élisabeth, gilet fluorescent sur le dos, entame sa journée de travail comme agent de traversée scolaire. Un emploi qu’elle n’aurait jamais imaginé exercer à l’aube de ses 70 ans. « Mais tant que je peux rester debout, je le ferai », affirme-t-elle, la voix abîmée par des années de tabagisme. Le choix, de toute façon, cette retraitée ne l’a pas.
« Des sacs plus chers que ma paie »
À 68 ans, Élisabeth s’apprête à fêter sa dixième année sans cancer. Le 11 novembre, elle compte bien célébrer cette victoire. Une rare occasion de réjouissance. « J’ai quand même bien profité de la vie », glisse-t-elle avec un sourire nostalgique, évoquant ses années de jeunesse à Paris.
Arrivée de Lyon à 17 ans, Élisabeth a connu la liberté de la capitale, enchaînant les petits boulots : femme de chambre, aide-ménagère, serveuse, plongeuse. « Ma première place, c’était dans une famille à Fontenay-aux-Roses. Je m’occupais de leur belle maison. Leur fille avait presque mon âge. Ils lui offraient des sacs plus chers que ma paie ! Mais je suis partie pour la première fois en vacances à Saint-Tropez avec eux. C’est resté gravé dans ma mémoire. »
Un gap lorsqu’on la voit aujourd’hui évoluer dans son petit studio aux murs beigeâtres situé dans une résidence autonomie pour personnes âgées. Toujours mieux, cependant, que ses 15 dernières passées dans une chambre insalubre d’un hôtel du 11e arrondissement de Paris. « Heureusement, j’avais une bonne assistante sociale qui m’a trouvé ce logement ». Dans ce nouveau lieu où la décoration se fait rare, Minouche, son chat rescapé, y règne en maître. « Moi, je préfère les animaux », confie-t-elle sans détour.
« Sous le déluge, j’ai eu envie de démissionner »
Le repos mérité de la retraite, Élisabeth ne le connait pas. Avec 900 euros de revenus, elle a dû se résoudre à reprendre le travail. « Qu’est-ce que vous voulez faire, c’est comme ça », soupire-t-elle. Un emploi en extérieur qui la soumet aux aléas météorologiques. « Quand on ramasse la pluie, quand il fait froid ou très chaud, ce n’est pas toujours facile. La dernière fois, sous le déluge j’ai eu envie de démissionner. Mais, quand on en a besoin, on le fait. »
Succinctement elle évoque alors les difficultés rencontrées ces dernières années : un dossier de surendettement à la Banque de France, des problèmes de santé et une démoralisation qui l’a poussée à chercher de l’aide auprès des Petits Frères des Pauvres. Embarrassée, elle reconnaît : « Ça m’a servi de leçon. » Aujourd’hui enfin, elle estime respirer davantage : « Tout ça est réglé, je vais pouvoir mettre un peu de côté ».
« Je ne travaille pas pour des cafés »
Mais le budget reste serré. Avec environ 300 euros de reste à vivre une fois le loyer et les charges payés -mutuelles, assurance habitation, téléphone -, Élisabeth se contente de ce qu’elle a. Elle guette les promotions, fréquente les magasins discount, limite les petits plaisirs. « Quand j’ai une heure de pause au travail, j’évite de dépenser. Je ne travaille pas pour des cafés. »
Alors, elle trouve des réjouissances là où elle peut. On l’entend se dire ravie d’avoir perdu un peu de poids grâce à son job, de plaisanter avec les parents d’élèves ou encore les personnes âgées qu’elle croise.
Dans des cahiers d’écolier transformés en albums photos, elle garde quelques traces de sa vie passée. On la voit plus jeune chez des amis perdus de vue, ou bien dans son ancienne chambre d’hôtel défraichie aux côtés de ses feus chats. Sur la table basse du salon, une photo de groupe est encadrée : un souvenir d’un voyage en Tunisie organisé par les Petits Frères des Pauvres et les Avions du Bonheur. Son regard s’attarde sur cette image d’elle à Djerba en 2019. Une expérience qu’elle aimerait bien revivre un jour. « J’ai vu une publicité à la TV pour le Maroc ou la Tunisie : 500 euros tout compris pour une semaine hors saison. »
Alors qu’elle évoque ses projets d’économies, la réalité la rattrape soudainement. D’abord, il faudra changer la télévision qui ne tiendra plus longtemps. Surtout, il faudra s’offrir une paire de chaussures imperméables pour la rentrée, quand le travail reprendra.
En 2015, peu après son opération d’un cancer du pancréas, Élisabeth découvre les Petits Frères des Pauvres. Confrontée à des problèmes de santé et de dettes, elle se tourne vers l’Association en quête de soutien. Élisabeth participe régulièrement aux activités cuisine le dimanche, où elle aide à la préparation des repas et partage un moment convivial avec d’autres bénéficiaires et bénévoles.
900€/MOIS
Du pain et de l’eau, quand on n'a rien d’autre, je l’ai fait pendant longtemps.
Michel a sa petite notoriété. Mais ne lui faites pas remarquer. « Moi, une star ? Drôle de star », s’amuse-t-il. C’est qu’il n’aime pas spécialement se mettre en avant. Lui, son truc, c’est de dire les choses comme elles sont. Sans fioriture.
Il y a deux ans, une journaliste du média Brut est venue l’interviewer. Il y raconte son quotidien de retraité aux petits moyens. Dans la vidéo, on le voit arpenter les allées d’un supermarché. Il explique pourquoi c’est gênant à 70 balais et un dos ravagé de devoir se baisser pour attraper les produits les moins chers en bas des rayons. Il y décrit aussi ses privations et ses techniques pour économiser un euro. Avec sa voix rocailleuse et sa tête de papi tout-le-monde, sa franchise désarmante a touché. Il a fait exploser les compteurs : la vidéo a été vue plus de 6 millions de fois.
Sans le vouloir, Michel s’est mis a incarné le visage oublié de la précarité chez les personnes âgées. Sous la vidéo, les témoignages similaires ont fusé. Tous racontant leur désespoir de vivre avec des retraites de moins de 900 euros. La conclusion est toujours la même : comment est-ce possible de finir ainsi quand on a trimé toute une vie ? Indignation et incompréhension.
« La nuit, je me cachais pour dormir. »
Michel a la démarche claudicante. Séquelles de plus de 20 ans passés sur les routes. « J’ai commencé en 68 comme chauffeur routier. On chargeait et déchargeait les camions à la main. Après, il fallait rouler. La colonne a lâché. » Et les médecins n’ont rien pu faire. « J’ai subi quatre opérations. J’ai deux plaques de ferraille dans le dos qui n’ont pas tenu. Maintenant, j’ai une paralysie de la jambe droite. » Nous sommes en 92 et la décision est sans appel : interdiction totale de travailler. Ensuite, c’est l’histoire parfois classique et tragique que rencontrent ceux qui finissent à la rue. Un divorce qui se passe mal, un départ du foyer familial, un canapé occupé un temps chez un frangin. Et puis l’errance.
Michel finit par rejoindre les compagnons Emmaüs. Il travaille en cuisine dans une communauté en Ardèche, puis à Nice. Lassé, il atterrit à Marseille, sans domicile fixe. « La nuit, je me cachais pour dormir sur le Vieux-Port, derrière la mairie », raconte-t-il. Un matin, une douleur lancinante à la tête le réveille. Le diagnostic à l’hôpital tombe comme un couperet : un ulcère de la cornée qui lui fait perdre la vue de l’œil droit. « C’est probablement une infection provoquée par l’urine de rats. »
« Du pain et de l’eau »
Il y a 10 ans, Michel a posé définitivement son sac à Toulon. La dernière étape. « Ras- le-bol de cavaler ». Hébergé un temps dans une maison relais au Mourillon – un lieu qui accueille des personnes en situation de précarité, d’isolement, d’exclusion sociale – il trouve un appartement grâce aux Petits Frères des Pauvres. Avec seulement 850 euros de retraite par mois, bien en dessous du seuil de pauvreté, et un loyer de 430 euros, chaque centime compte. « Pour moi, un euro, c’est une baguette de pain. », illustre-t-il, dévoilant l’arithmétique quotidienne qui rythme sa vie. « Du pain et de l’eau, quand on n’a rien d’autre, je l’ai fait pendant longtemps. »
L’histoire de Michel a ému les Français. Lorsque la vidéo du média Brut est devenue virale, un élan de solidarité s’est formé. Une cagnotte en ligne a été ouverte, récoltant rapidement près de 10 000 euros. Mais Michel a pris une décision qui a surpris. Il choisit de partager l’argent avec d’autres retraités en difficultés, plutôt que de le garder pour améliorer son quotidien. Il divise la somme entre les 43 bénéficiaires des Petits Frères des Pauvres de Toulon, offrant à chacun un bon d’achat de 210 euros.
Avec philosophie, Michel explique le geste qui en a surpris plus d’un : « Moi, je me débrouille, la vie de la rue, elle était dure. Si tout le monde comprenait que le partage ça fait beaucoup. Il y a des gens qui ne donneraient même pas une baguette de pain à quelqu’un qui a faim. » Alors, quand les journaux locaux se sont intéressés eux aussi à son histoire, il a voulu faire passer un message. « Il faut s’occuper des papis et des mamies, martèle-t-il. Ce ne sont pas à eux d’aller demander des aides. Certains ne sortent pas de chez eux. Il faut aller les voir. »
« De la bonne popote »
Michel a retrouvé un petit équilibre. Dans son studio toulonnais, le chant des cigales s’invite par la fenêtre. Même s’il se sent un peu étriqué. « C’est petit ici, je manque de place » souffle-t-il en montrant les 18 m2 qui l’entourent. De toute façon, il n’aime pas rester enfermé. La télé massive perchée sur la commode reste éteinte. « On me l’a donnée », précise-t-il. Ses journées, il préfère les passer au parc des Lices, à deux pas de chez lui. « Là-bas, j’en connais du monde ! »
Dans les allées du parc, Josie, 88 ans, ne le fait pas mentir. Postée sur un banc, elle semble l’attendre de pied ferme. « C’est les fameux ? lance-t-elle à Michel avec un accent du coin prononcé. Avant de nous interpeller : « Vous êtes Sophie de France 3 ? » Pas cette fois. Personnage haut en couleur, Josie ne tarit pas d’éloge sur Michel. « C’est un amour ! », clame-t-elle. « Avant, continue Michel, Josie m’apportait de la bonne popote ». La copine acquiesce : « Des supions, des steaks de cheval, des escargots du jardin… ». Assis côte à côte à l’ombre d’un platane, les deux compères continuent alors de tailler la bavette : la boulangère, les promeneurs, les chiens, les difficultés du quotidien… Tout y passe. Ça ricane, ça cancane, ça déballe les petits tracas et les grandes misères. En cette fin d’après-midi de juillet, l’air de rien, ça se raccroche à la vie.
Les Petits Frères des Pauvres ont joué un rôle crucial dans la vie de Michel. Grâce à l’association, il a pu trouver un logement stable, mettant fin à des années d’errance. Il participe à de nombreuses activités organisées par l’association : séjours de vacances annuels, lotos, et même un voyage mémorable à l’Olympia à Paris. « Les petits frères, ils nous gâtent. Ah, on rigole bien ! » Michel passe également quand il le souhaite dans leurs locaux boire un café.
1100€/MOIS
Je voulais aller au théâtre. Mon futur mari était psychologue, il avait travaillé toute la journée, il était fatigué. Sur la route, une voiture nous a percutés de plein fouet. J'étais enceinte de six mois, j’ai perdu Gilles et le bébé que j’attendais. Je n’ai jamais pu refaire ma vie.
La porte de l’appartement s’ouvre sur une scène inattendue. Martine, 73 ans, en robe à fleurs à manches courtes et sandales à frange légèrement compensées aux pieds, est en pleine séance de gymnastique. Son visage affiche un mélange de détermination et de bonne humeur. Bras tendus, entre deux flexions et extensions, elle plaisante avec David, son éducateur d’activité physique adapté. Le cours terminé, assise sur son canapé entouré de plantes qu’elle arrose religieusement chaque semaine, elle se livre sans fard sur son quotidien à 1 100 euros par mois.
« Je m’adapte », répète-t-elle comme un mantra, ses mains lisant machinalement le bas de sa robe. Ancienne éducatrice, Martine a consacré sa vie aux autres. Des foyers de jeunes femmes handicapées aux colonies de vacances, en passant par le bénévolat aux Blouses Roses, son parcours est jalonné d’engagement. Aujourd’hui, c’est elle qui doit jongler avec les fins de mois difficiles.
« Je fais gaffe à tout. »
Son 56 m2, qu’elle occupe depuis 21 ans, est devenu son refuge. « Il faut que je me sente bien chez moi », insiste-t-elle, balayant fièrement du regard sa décoration. Les murs, tapissés par ses soins il y a deux décennies, témoignent de son goût pour les couleurs et la nature. Mais les travaux attendent. « Le sol vinyle se décolle, je suis déjà tombée deux fois. Le devis pour le remplacer était de 2 500 euros, alors j’ai acheté un tapis à la place pour le camoufler. »
Martine s’estime chanceuse. Il y a trois ans, elle s’est lié d’amitié avec Nabila sa nouvelle voisine de palier. « Après une hospitalisation, elle m’a accueillie avec un couscous. » Depuis, chaque jour, elle lui concocte un repas fait-maison. Parfois, ce sont ses filles qui lui apportent. « On dirait les Rois mages ! Un plat chacune dans les mains. » Les enfants de Nabila, âgés de 3 à 18 ans, sont même devenus des visiteurs réguliers. « On regarde The Voice, Danse avec les stars. Elles font de la gym, elles me montrent leurs pas danse », s’enthousiasme-t-elle, photos à l’appui.
Cette solidarité quotidienne lui permet de réduire considérablement ses dépenses alimentaires. Les courses, elle les fait dans les magasins de hard discount à la recherche des meilleurs prix. « Quand j’ai payé mes factures et mon loyer, il me reste entre 200 et 300 euros pour vivre. » Un budget serré qui l’oblige à une gestion méticuleuse. « Je fais mes comptes, je suis obligée de suivre ça de près », explique-t-elle en épluchant ses factures étalées sur la table basse.
« Je fais gaffe à tout.», résume-t-elle en montrant ses relevés d’électricité. En pleine chaleur estivale, son ventilateur reste silencieux. « Je ne le mets plus, même quand il fait très chaud. L’année dernière, ça a fait exploser la facture. » Malgré la débrouille, l’inquiétude pointe quand on évoque l’inflation galopante. « Même en faisant attention à tout, l’argent n’est pas extensible… Je ne peux pas dire que je sois sereine. »
« Je décline en prétextant être occupée. »
Coquette, elle ne renonce pas pour autant à prendre soin d’elle. Tous les trimestres, elle s’octroie un passage chez un coiffeur « pas trop cher », précise-t-elle en citant une chaîne de salon de coiffure réputée pour ses prix bas. « Sinon, je fais moi-même mon shampoing colorant avec l’aide de mon auxiliaire de vie. » Sa mutuelle, vestige de son dernier emploi dans une compagnie d’assurance, est l’une des rares dépenses qu’elle juge indispensables. « Je peux me passer de beaucoup de choses, mais pas de ça », assure-t-elle. « J’ai été opérée des deux hanches. J’ai eu deux prothèses. Puis, je suis tombée et je me suis cassé le fémur. À l’intérieur, c’était de la bouillie. Pendant plusieurs mois, je ne pouvais plus marcher. »
Les sorties ? Un luxe rare. « Quand des amis me proposent d’aller quelque part, je demande toujours le prix. Souvent, je décline en prétextant être occupée. » Le pécule mis de côté est réservé aux « coups durs » : une machine à laver ou un frigo vieux de 15 ans, qu’il faudra remplacer un jour. Pour pallier ce manque, elle participe activement aux animations proposées par les Petits Frères des Pauvres : jeux de société, sorties culinaires, séjours en château… « On ne s’ennuie pas une seconde ! », assure-t-elle ravie de retrouver une vie sociale.
« Rester optimiste »
Les vacances se résument depuis des années à des cures thermales. Cette solution, à mi-chemin entre soins et loisirs, s’est imposée comme une évidence. « J’ai une aide de 150 euros pour le logement et une autre pour le transport. La cure en elle-même est prise en charge à 100 %. » Pourtant, Martine nourrit le rêve de voir un jour Venise. Ce voyage, elle devait le réaliser avec Gilles, son grand amour décédé il y a plus de 40 ans dans un accident. « Je m’en suis voulu », confie-t-elle d’abord. « J’ai insisté. Je voulais aller au théâtre. Gilles était psychologue, il avait travaillé toute la journée, il était fatigué. Sur la route, une voiture nous a percutés de plein fouet. J’étais enceinte de six mois, j’ai perdu mon futur mari et le bébé que j’attendais. Je n’ai jamais pu refaire ma vie. »
« Le secret, c’est de rester optimiste », affirme-t-elle malgré tout. Sa « force de vie », comme elle l’appelle, puise ses racines dans un passé douloureux. Enfant martyrisée, victime d’inceste, retirée à sa famille à 14 ans pesant à peine 27 kilos, elle a connu des épreuves qui auraient pu la briser. Récemment, elle a couché ces maux sur le papier. Comme un exutoire, elle a raconté sa vie dans un petit livre autobiographique. À la fin de l’ouvrage, elle conclut modestement : « La vie, pour moi, n’a pas été un long fleuve tranquille, mais j’ai toujours voulu la vivre dans la résilience et dans l’amour des autres, ce qui m’a permis d’écrire ces moments forts qui ont fait de moi une femme heureuse. »
Depuis fin 2023, Martine bénéficie de l’accompagnement des Petits Frères des Pauvres. Son implication avec l’association est multiple. Chaque mois, elle participe à une après-midi de jeux de société dans les locaux de l’association, rejoignant d’autres bénéficiaires pour des moments de convivialité. Elle a également rejoint le comité de rédaction du journal de l’antenne locale de l’association. Martine ne manque jamais une occasion de prendre part aux diverses activités proposées : sorties culturelles, repas de Noël, galette des Rois… Deux bénévoles lui rendent visite régulièrement à son domicile, partageant avec elle conversations et promenades, contribuant ainsi à enrichir son quotidien.
1000€/MOIS
Ce qui est bizarre dans la société, c’est que tout le monde soit dans des situations trop différentes. Qu’il n’y ait pas de retraite à 1 000 euros pour tout le monde. J’ai un copain qui touche 360 euros par mois. Ça fait peu, il a un grand jardin, mais quand même, c’est difficile.
Rarement, une rencontre aura été aussi déconcertante. Dans un coin du salon, au milieu d’un bazar sans nom, la carrure solide d’Éric est comme scotchée au fond d’un fauteuil en simili cuir beige. Ses mains sont agrippées aux accoudoirs, élimés pile à ces deux endroits. Il nous fixe avec un regard d’une intensité quasi-dérangeante. On le savait schizophrène. Avant de le rencontrer, les bénévoles se montraient rassurants : « Il est sous traitement, vous verrez, il est tout à fait conscient de sa maladie. Il est très cultivé et très touchant. » Et c’est vrai.
Ce jour-là, on comprend immédiatement qu’Éric est en train de sortir de sa zone de confort. En acceptant de se livrer à des inconnus, comme ça, chez lui. Lui, qui ne reçoit presque jamais personne dans cet appartement qui abrite sa folie. Tout de suite, il pose les bases, en prenant le temps de peser chaque phrase : « Bon. J’ai fait de la psychiatrie dès l’âge de 25 ans. Depuis, je suis toujours suivi. Je prends mes médicaments. Voilà ».
« Complètement fou »
Son père était professeur de menuiserie, sa mère infirmière scolaire. Pendant son enfance, ils déménagent beaucoup au gré des mutations. L’Algérie : « J’ai vu pas mal de cadavres et de pendus sous mes yeux ». Troy : « Sous la pluie tous les jours ». Crest : « Pendant six ans, à l’école et au collège ». Et enfin, Romans-sur-Isère. À 17 ans, il prend lui-même la route, émancipé par son père et part « vagabonder en Provence et en Hollande ». À 25 ans, il revient chez ses parents. « Et là, je me suis aperçu que j’étais fou. » D’un coup d’un seul, son visage se crispe. Sa bouche s’ouvre, ses dents se serrent. Et des larmes, énormes, incontrôlables, coulent : « Complètement fou. »
Aussi rapidement que le tumulte est apparu, Éric se calme et lâche : « Je me suis pas mal drogué. Je fumais beaucoup et je prenais du LSD ». Avec une franchise inattendue, il explique alors : « Ça me permettait d’être suffisamment planant, si on peut dire. Ce qui me permettait de vivre mieux ». Sans pudeur, il continue : « La drogue, ça a changé le cours de mon existence. Et puis, après, il y a eu la maladie. Tout le monde pensait que c’était parce que je me droguais que j’étais malade, alors qu’en fait c’était l’inverse. C’est parce que j’étais un peu délirant, un peu bizarre que je cherchais une compensation. J’avais trouvé ça, comme d’autres trouvent l’alcool ». Pendant plus de 20 ans, il tentera de calmer « les délires et la souffrance morale ». Les larmes coulent à nouveau. Il se reprend : « Pardon, je suis très émotif. J’ai rencontré un médecin qui m’a dit qu’à 50 ans ça se calmait ». Du haut de ses 67 ans, il valide désormais le pronostic médical. « Ça s’est vérifié. Ensuite, je me suis tourné vers l’Eglise. »
« Il n’y a pas d’égalité, il n’y a pas de fraternité, il n’y a pas de liberté. »
Autour de lui, les étagères croulent sous le poids des livres qu’il ne lit plus. Parmi eux, Houellebecq, Kierkegaard, Gracq, et bien d’autres. Derrière lui, des reproductions manuscrites de textes d’Arthur Rimbaud entourées de peinture bleu, rouge, verte et jaune sont exposées sur un grand montant en bois fabriqué par son père. C’est l’une de ses créations. Il s’est mis à la peinture quand il est arrivé dans cet appartement. Un passe-temps, comme un autre. Avec l’écriture aussi : il a rempli des classeurs entiers de poésie, de pensées intimes sur le bonheur et le malheur.
Il lève son bras droit encerclé d’un poignet de force et explique qu’il ne peut plus vraiment écrire. Il est tombé dans la rue il y a quelques mois. Il rendait visite à une copine, la seule qu’il lui reste, alors qu’il avait une pizza dans les mains. Il a trébuché. Il s’est cassé le col du fémur, le poignet et quelques vertèbres. La pizza, elle aussi, était foutue. Il est resté un an en fauteuil roulant. Il a perdu toute sa musculature. Maintenant, il se déplace difficilement. Et, dernièrement, quand l’ascenseur de l’immeuble est tombé en panne, il est resté trois semaines sans pouvoir sortir de chez lui. Brusquement, une alarme interrompt le récit. « C’est l’heure de mes cachets, ne vous inquiétez pas », dit-il avant d’attraper son pilulier à portée de main et de gober ses cachets un à un. « J’ai une bonne retraite quand même », affirme-t-il, presque gêné de ses mille euros mensuels. Ce sont ses parents qui ont pensé à cotiser pour qu’il ait une retraite complémentaire. Sans ça, il aurait dû se contenter des 680 euros prévus par le régime général. S’il a un toit sur la tête, c’est aussi grâce à eux. Ils lui ont acheté ce deux pièces il y a 35 ans. Sinon, il serait probablement à la rue. Il se rend compte que, d’une certaine façon, il a eu de la chance. Éric analyse alors la situation avec une certaine candeur : « Ce qui est bizarre dans la société, c’est que tout le monde soit dans des situations trop différentes. Qu’il n’y ait pas de retraite à 1 000 euros pour tout le monde. J’ai un copain qui touche 360 euros par mois. Ça fait peu, il a un grand jardin, mais quand même, c’est difficile. » Éric hésite et poursuit : « Il n’y a pas d’égalité, il n’y a pas de fraternité, il n’y a pas de liberté. Il n’y a pas tout ça quoi ».
« Attendre que le temps passe »
Sur un tabouret en bois devant lui, un cendrier est posé sur lequel on peut lire : « Tout pour faire un tabac ». Il montre le saladier en pyrex juste à côté. « Ça, c’est du tabac issu de mes mégots de cigarettes. J’enlève le brûlé et je récupère ce qu’il reste pour le fumer à la pipe. Je ne perds rien. » Ça lui sera peut-être fatal, il le sait. Mais, même avec des patchs, il n’arrive pas à s’en passer. Une mauvaise habitude acquise à 16 ans. « J’ai une forte addiction à la nicotine. Une fois, j’ai essayé d’arrêter et j’ai grossi. Une autre fois, j’ai essayé et j’ai fait une dépression. » Alors, il fume. Même si ça lui coûte cher, aussi.
Éric vit désormais au ralenti. Ses journées se résument à « attendre ». Attendre quoi ? « Que le temps passe. » Il aimerait bien voyager à nouveau. Comme quand il était plus jeune et qu’il sillonnait l’Europe les poches vides : les Pays-Bas, l’Espagne, la Grèce… Aujourd’hui, il ne sait plus comment faire. De toute façon, la sciatique lui complique la vie. Sinon, il rêverait simplement de pouvoir se promener. N’importe où. « Quand je marche, je suis avec les autres, je suis sur la planète. La marche, confie-t-il, me rend humain ».
À Romans-sur-Isère, les Petits Frères des Pauvres apportent un soutien vital à Éric, 67 ans, atteint de schizophrénie. L’Association assure des visites hebdomadaires d’une heure trente, essentielles pour briser son isolement. Deux bénévoles, Dominique et Pascal, lui offrent une présence régulière et rassurante. L’impact de cet accompagnement est significatif. Éric témoigne que ces visites ont « vraiment changé [sa] vie », soulignant l’importance du lien social pour les personnes âgées isolées. Au-delà du soutien moral, l’association facilite l’accès aux loisirs. Éric participe aux séjours vacances, à prix réduit. Une bouffée d’oxygène pour celui qui, coincé chez lui par des problèmes de santé, ne sort pratiquement plus.
800€/MOIS
Je ne sais pas ce que je fais ici… Je n’ai plus rien à donner. D’être là, seulement comme ça à attendre, ce n’est pas moi.
Cette histoire, Louise a déjà dû la raconter des dizaines de fois. Aux ambassades, à l’ONU, aux administrations françaises… Ce jour-là, elle recommence dans son appartement de Seine-Saint-Denis. Elle doit réfléchir, puiser dans sa mémoire, choisir les bonnes tournures de phrases, réveiller des souvenirs douloureux. Mais elle raconte. Lentement. Digne. Elle raconte son exil de la République démocratique du Congo et son arrivée en France, en 2002, à l’âge de 59 ans. Elle raconte son histoire, qui est aussi celle d’une guerre sans fin qui, pour la plupart, nous indiffère.
Louise est originaire de Kitshanga, dans le nord Kivu, une province de l’est de la RDC. À quelques kilomètres au sud, on y trouve Goma, une ville de 17 000 habitants située juste à la frontière avec le Rwanda. Ce chef-lieu de la région est niché au bord de l’un des plus grands lacs d’Afrique. De la cité, on peut apercevoir le volcan Nyiragongo qui pointe au loin comme une menace permanente sur la ville. Dans cette région vallonnée, la nature y est luxuriante et le climat tempéré. Là-bas également, le pays se déchire depuis plus de 20 ans au nom d’intérêts politiques et économiques. La sérénité n’existe plus. Ce territoire est devenu le théâtre de violences anarchiques : massacres, viols et pillages. Là-bas encore, le sol est riche en minerais. « Peut-être même trop », murmure Louise.
« Nous sommes devenus nous-mêmes des réfugiés. »
Louise vivait à Goma. Pendant une dizaine d’années, elle a fait du bénévolat avec son église. Elle nourrissait les réfugiés rwandais arrivés en masse. Elle visitait les malades à l’hôpital. Il n’y avait plus de travail. La population locale se débattait pour survivre. Elle aussi. À la maison, elle s’occupait de ses petits-enfants : leur père, son fils, a été assassiné. Ses autres enfants ont été évacués à Kinshasa ou en Europe.
Elle se souviendra toujours du jour où des militaires ont frappé à sa porte. Ils venaient du Rwanda. Ils lui ont ordonné de quitter sa maison, sans une explication. Elle a été conduite à Gisenyi, à 20 kilomètres de l’autre côté de la frontière. Là, on l’a forcée à monter dans un bus. À son arrivée, elle a découvert un camp de réfugiés déjà surpeuplé de Congolais déplacés. « C’est ainsi que nous sommes devenus nous-mêmes des réfugiés au Rwanda. » Elle y est restée un an. Jusqu’à cette nuit où le camp a été attaqué. Près de 250 personnes ont perdu la vie, fusillées sur place.
Alors, Louise a fait le chemin inverse. Jusqu’à Goma. Pendant trois ans, la vie, en quelque sorte, a continué. Jusqu’à ce qu’elle tombe malade. Il fallait se faire opérer. Tout était prévu. Sauf le réveil du volcan. La lave a tout détruit sur son passage. L’hôpital y compris. Ce soir-là, en France, les présentateurs des JT avaient la mine grave en évoquant l’est de la RDC : ils parlaient d’une situation catastrophique. En même temps, la crise géopolitique s’intensifiait dans la région qui s’embrasait. « Les Tutsis poursuivaient les Hutus au Congo, et nous, les Congolais, nous nous retrouvions également pris pour cible. » Plus aucun vol civil ne reliait l’est du pays avec l’ouest. Louise voulait s’enfuir. « C’est grâce à l’intervention de l’ONU et aux documents fournis par mon médecin que j’ai pu embarquer dans un de leurs avions pour Kinshasa. » Quelques mois plus tard, Louise a obtenu un visa pour la France.
« Heureusement, il y a des gens qui vous encouragent. »
Ici, c’est une nouvelle bataille qui l’attendait. Celle des papiers. Son visa n’était valable que trois mois, le temps des soins. Mais où rentrer, quand chez soi tout est dévasté ? Il a fallu attendre cinq ans. Cinq années d’incertitude, sans statut légal. Il a fallu survivre grâce à l’aide de la famille et des associations caritatives. « C’était dur, mais heureusement il y a des gens qui vous encouragent. » Louise avait besoin de se sentir utile, d’occuper ses journées. Elle s’est rapprochée de la Congrégation des Petites Sœurs des Pauvres. Elle a passé ses journées à animer des ateliers dans leur maison de retraite. « Je tricotais, je faisais des napperons, » résume-t-elle. Elle pointe du doigt l’ouvrage posé sur sa table basse : « Comme celui-ci ».
En 2007, Louise a obtenu sa carte de séjour. Les Petits Frères des Pauvres, dit-elle, l’ont beaucoup aidé. C’est eux qui l’ont soutenue dans ses démarches administratives. C’est aussi eux qui l’ont aidée à trouver ce logement. Une fois, ils lui ont même payé son loyer. C’est arrivé aussi, qu’il lui donne des bons alimentaires. Avec ses nouveaux papiers, Louise pouvait enfin travailler. Elle avait 64 ans. Les options étaient limitées. Elle a fait « des ménages » chez des particuliers pendant trois ans.
« Je n’ai plus rien à donner. »
La question lui a fait baisser la tête et ses yeux se sont embués. Aujourd’hui, de quoi vit-elle ? « On dirait que je n’ai même pas travaillé », chuchote-t-elle. Dans les 500 euros. « C’est normal, je comprends, c’est parce que je n’ai pas pu cotiser comme tout le monde. » Depuis l’année dernière, le département prend en charge son loyer de 450 euros. Elle n’a plus à payer l’aide à domicile également. Seules les factures d’électricité restent à sa charge. Avec quelques petites aides supplémentaires, elle touche désormais près de 800 euros. Louise dit que, maintenant, elle est sortie d’affaire.
Son regard se perd au-delà de la fenêtre de son appartement. Le paysage qui s’offre à elle n’est plus celui des collines verdoyantes et des bassins africains, mais celui d’une banlieue parisienne, dominé par la façade austère de l’hôpital qui lui fait face. « Je ne sais pas ce que je fais ici… Je n’ai plus rien à donner. D’être là, seulement comme ça à attendre, ce n’est pas moi. » Louise ne le cache pas : elle aurait préféré vieillir dans son pays. Elle sait que ce n’est pas possible. Parce que la guerre n’est pas finie. Mais elle y croit toujours. Même s’il ne lui restait plus qu’une semaine sur terre, elle voudrait que ça soit là-bas, à Goma. Cette fois, Louise lève les yeux au ciel et son visage s’illumine. Elle y est. « C’est une petite ville, mais, si vous la voyiez… Vous ne voudriez plus jamais en partir. C’est magnifique. Le climat y est si doux, si clément. Tout ce que vous plantez s’épanouit. Et les lacs ! Ah, si vous pouviez les voir ! Ils s’étendent à perte de vue, comme des mers intérieures. »
Les Petits Frères des Pauvres ont joué un rôle capital dans l’intégration de Louise, réfugiée congolaise de 81 ans, en France. Arrivée en 2002 à l’âge de 59 ans, Louise a bénéficié pendant des années du soutien de l’association. Celle-ci l’a aidée dans ses démarches administratives, lui a fourni une aide alimentaire et a contribué au paiement de son loyer et de ses médicaments. L’association a également financé un voyage au Congo, permettant à Louise de revoir sa famille après 10 ans d’absence. Malgré une pension mensuelle de moins de 800 euros, Louise parvient à maintenir son autonomie, en partie grâce à ce soutien continu.
1000€/MOIS
Il y a des aides de l’État, mais je dois quand même sortir une partie de ma poche. Ce n’est pas possible, quand j’arrive à la fin du mois, je n'ai plus rien...
Maison des orphelins. Ces quelques mots, gravés dans la pierre blanche, ornent le dessus de la porte en bois par laquelle Jean-Claude apparaît. C’est ici qu’il loge depuis fin mars : un bâtiment réhabilité en pension de famille, pour personnes isolées et précaires. Le regard franc et la démarche vacillante, l’homme en jean-polo qui s’avance est un rescapé, à en croire les paroles des bénévoles de l’Association qui occupent eux aussi les locaux. Il y a quelques mois, on le donnait presque pour mort sur son lit d’hôpital. Mais la belle nouvelle est tombée la veille : « D’après le médecin, je suis guéri du cancer », lâche-t-il, heureux et sceptique à la fois.
Sa vie, il pourrait la raconter en 10 tomes, explique-t-il d’emblée. Originaire de Nancy, Jean-Claude, 71 ans, a fait de Marseille sa terre d’adoption depuis plus de 40 ans. Son parcours professionnel, aussi riche que chaotique, l’a mené de la cuisine des palaces londoniens à la comptabilité, en passant par la boucherie, la pâtisserie artisanale ou encore l’animation. Difficile de raccrocher les wagons, tant le récit est dense. « Je suis un diamant à multiples facettes ! Mais ça a toujours été la galère », conclut-il sans fanfaronner.
« Humainement, c’est un peu mieux. »
Né avec un handicap à la jambe, orphelin de mère à 10 ans, il a connu, enfant, les établissements aux « barreaux aux fenêtres » et, plus tard, les périodes où il a frôlé de finir à la rue. « Toute ma vie, au dernier moment, je m’en suis sorti ». Aujourd’hui, Jean-Claude fait partie de ces retraités qui peinent à joindre les deux bouts. « Financièrement, c’est toujours la galère, humainement, c’est un peu mieux. », résume-t-il.
Jean-Claude vit avec 1 000 euros par mois. Une somme qui fond comme neige au soleil entre le loyer et les factures. « Je ne m’habille pas, je ne fais pas de sorties, je ne vais pas au restau, je ne vais pas au cinéma », énumère-t-il. Les vêtements ? On les lui donne. Seule entorse à ses pieds : une paire de baskets blanche, imitation d’une célèbre marque de sport portée par les jeunes.
Cette précarité pèse lourd sur son quotidien et sa santé. « Je ne mange pas correctement », confie-t-il, conscient des conséquences sur son corps déjà éprouvé. L’idée d’une aide-ménagère a été écartée, trop chère. « Il y a des aides de l’État, mais je dois quand même sortir une partie de ma poche. Ce n’est pas possible, quand j’arrive à la fin du mois, je n’ai plus rien ». Face à sa situation, Jean-Claude se sent démuni : « Ce n’est pas juste, voilà. Ce n’est pas juste qu’on demande à des personnes âgées de vivre avec une retraite sous le seuil de pauvreté. »
« J’ai tout misé sur le travail. »
Lorsqu’il se promène dans la rue de Marseille, Jean-Claude ne peut s’empêcher de donner aux plus démunis. Parfois, il lui arrive même d’exploser en sanglot. « C’est peut-être parce que je suis passé par la galère que j’ai pris davantage conscience des autres. » Cet hypersensible, qui a toujours un mot gentil pour son entourage, ne comprend pas vraiment comment il en est arrivé là. « Toute ma vie, j’ai tout misé sur le travail », déplore-t-il. Mais les nombreux soucis de santé et les patrons peu scrupuleux ne lui auraient pas permis de cotiser suffisamment.
Dernièrement, l’anxiété alimentée par la solitude a commencé à le ronger. La peur des nuits sans lendemain. Et puis l’envie de partager des moments de vie avec quelqu’un. « Ce qu’il me manque, c’est une bonne amie, avoue-t-il le sourire triste. Mais je me demande, si j’en avais une, avec quoi je la nourrirais ? » En attendant, Jean-Claude trouve du réconfort auprès des Petits Frères de Pauvres. Le soutien de Bastien, un bénévole devenu « comme un frère », lui a permis de s’accrocher lorsqu’il était à l’hôpital. « Il me booste », reconnait celui qui a tendance à s’enliser dans les démarches administratives.
« Juste un chez-moi. »
Au premier étage de la pension de famille, Jean-Claude nous fait visiter son studio. Quatre murs blancs, une kitchenette, une armoire et une salle de bain. Sommaire, mais fonctionnel. Après des années en résidence ADOMA – ces logements très sociaux destinés aux personnes vulnérables – et une brève expérience dans un logement social, il a trouvé refuge dans cet appartement géré par les Petits Frères des Pauvres. Entouré par les équipes salarié et bénévole, il est rassuré : « Il y a un suivi, je me sens moins seul. »
La pension offre un accès à une salle commune pour les résidents et dispose d’un jardin partagé avec les habitants du quartier. Une aubaine pour celui qui adore rencontrer du monde. « Pour le moment, dans l’immeuble, chacun reste un peu de son côté. C’est une histoire de parcours de vie difficile, certains ont du mal à nouer des liens », analyse-t-il compatissant. Assis sur le lit une place qui fait office de canapé, il montre la dizaine de cartons encore emballés. Toute une vie à trier qui lui donne le vertige. « Ce que j’aimerai un jour, c’est avoir un véritable appartement. Quelque chose de sympa. Pas-grand-chose, juste un chez-moi, pour avoir un peu d’espace et de tranquillité. ‘Un petit chez soi vaut mieux qu’un grand chez les autres’, c’est ce qu’on dit, non ? »
Jean-Claude est accompagné depuis plus de 10 ans par l’équipe Belle de Mai des Petits Frères des Pauvres à Marseille. Isolé et sans famille, il trouve dans les activités proposées par les Petits Frères des Pauvres un précieux lien social. Bénéficiaire du minimum vieillesse, le loyer modéré lui offre une marge de manœuvre financière dont il prend peu à peu conscience. Depuis deux ans, il goûte au plaisir des séjours de vacances organisées par les Petits Frères des Pauvres. L’accompagnement de l’association lui permet progressivement de penser à lui et de retrouver une certaine sérénité.
1000€/MOIS
À la fin du mois, il ne reste plus rien
Dans la chaleur étouffante de ce mois de juillet, Marie-Madeleine, 80 ans, s’active dans sa petite maison à La Gaubretière, en Vendée. Son déambulateur cliquette sur le carrelage alors qu’elle se déplace avec une agilité surprenante, contrastant avec la démarche difficile qui l’a accompagnée toute sa vie. « Je n’ai jamais très bien marché », confie-t-elle en haussant les épaules.
Son monde se résume aujourd’hui à ce logement social, obtenu en 2009 grâce à l’aide de sa sœur, après une vie passée dans la ferme familiale. Les murs sont ornés de photos de ses voyages organisés par les Petits Frères des Pauvres, seules échappées dans une vie ancrée dans cette terre vendéenne. Aucun portrait de famille. Seule une immense commode en bois rappelle un passé soigneusement mis à distance.
« Il fallait bien que je fasse quelque chose. »
Marie-Madeleine parle peu, sa timidité transparaissant dans chacun de ses gestes. Son regard s’illumine pourtant lorsqu’elle évoque ses voyages à Lourdes ou à Luçon, où les blockhaus réveillent des souvenirs d’après-guerre. Son parcours professionnel, lui, tient en une phrase : « J’ai travaillé dans les poulaillers, j’ai fait ça pendant une trentaine d’années. » Sans fierté, juste le constat d’une vie de labeur non déclaré. « Je n’ai pas eu le choix, il fallait bien que je fasse quelque chose », ajoute-t-elle.
Aujourd’hui, sa vie s’articule autour de petits rituels : la lecture quotidienne de Ouest-France, avec une prédilection pour la page des obsèques, et quelques visites de sa sœur, sa voisine ou des Petits Frères des Pauvres. La télévision remplit le silence de ses journées, tandis que ses mains ne restent jamais inactives, tricotant bonnets et couvertures.
« À la fin du mois, il ne reste plus rien. »
Avec une retraite de moins de 1000 euros par mois, les dépenses sont méticuleusement calculées. C’est sa sœur qui gère ses comptes, jonglant avec les frais incompressibles : loyer, assurance, factures, complémentaire santé, aide à domicile. Sans oublier les bas de contention, « très chers et remboursés qu’en partie », nécessaires pour soulager ses jambes.
« À la fin du mois, il ne reste plus rien », confie sa sœur au téléphone. Elle ajoute : « Si elle n’avait pas d’aides pour payer l’aide à domicile, elle serait obligée de rentrer en EHPAD. » Marie-Madeleine, elle, semble presque détachée de ces préoccupations matérielles. « Ce n’est pas donné », admet-elle simplement quand on l’interroge sur le coût de la vie. Elle a appris à se contenter de peu, achetant quatre plats préparés par semaine pour ses repas.
« Elle n’est pas compliquée, elle n’a pas grandi dans le luxe », explique la bénévole des Petits Frères des Pauvres qui l’accompagne. Dans ce quotidien minutieusement organisé, Marie-Madeleine, elle, trouve un équilibre fragile. « J’aime bien être tranquille », conclut-elle.
À La Gaubretière, en Vendée, Marie-Madeleine, 80 ans, bénéficie depuis 2006 de l’accompagnement des Petits Frères des Pauvres. Vivant seule avec une retraite inférieure à 1000 euros, elle trouve auprès de l’association un soutien crucial. Les bénévoles organisent des sorties et des séjours- vacances, offrant à Marie-Madeleine, qui se déplace difficilement, de rares occasions d’évasion. « Sans eux, je ne partirais pas en vacances », confie-t-elle.
900€/MOIS
Tant que ça ne dérange personne… Ce n’est pas toujours facile quand on est seul. L’argent, c’est un peu ça qui nous guide, n’est-ce pas ?
C’était la fin de la guerre. Jeannette avait presque 20 ans. Un gars qu’elle avait fréquenté lui a fait « une crasse » qu’elle n’a pas pu digérer. Alors, elle a dit : « Je m’en vais ». Elle écrit une lettre au grand-père, lui demandant de le « rejoindre au pays ». Il lui trouve alors « une place » chez un marchand de biens. « Je faisais la bonne », explique-t-elle.
Sans regret, elle quitte la région Seine- et-Marne et le foyer familial : 9 frères et sœurs, une mère froide qui n’aura cessé de lui reprocher son énurésie et un père « qui manquait beaucoup de courage ». C’est à Escrennes, petit village du Loiret au milieu des champs de blé, qu’elle mènera une vie de labeur.
« Il faut se dire : « il n’y a que ça » »
À la voir, on l’imagine tout de suite douce grand-mère. On ne se trompe qu’à moitié. Et, lorsqu’il s’agit de causer, Jeannette est inarrêtable. Elle raconte sa vie, ponctuant son récit d’anecdotes qui renvoient à des époques inconnues et d’expressions qui font doucement sourire. « Ici, faut pas péter plus haut qu’on peut », lance-t-elle avec un franc-parler que seule la vieillesse autorise.
À 98 ans, elle vit seule dans sa maison depuis la mort de son mari il y a 33 ans. Une vieille bâtisse achetée en 1949, alors que ce n’était « qu’un taudis ». « Les mûrs étaient moisis. Et puis l’hiver, il y avait du salpêtre par terre. Il fallait avoir envie de vivre là-dedans. On y a mis toutes nos économies ».
Aujourd’hui, le toit de la grange menace de s’effondrer et la fenêtre du grenier fuit. « Quand il pleut, l’eau passe entre le mur et le crépi puis vient laver les carreaux de ma chambre », regrette-t-elle. « Il faut compter au moins 1 000 euros pour les travaux, c’est un peu trop cher ». Plus frappant encore : l’absence de salle de bain et de toilettes. À bientôt, 100 ans, Jeannette fait sa toilette à l’évier, aidée par son auxiliaire de vie. « On a toujours été habitué à faire comme ça. Et puis on se fait une raison. Il faut se dire : « il n’y a que ça » », philosophe-t-elle.
« L’argent, c’est un peu ça qui nous guide. »
Avec sa modeste retraite, Jeannette compose entre les factures et l’aide-ménagère. Pour se nourrir, elle se contente essentiellement de plats préparés à trois ou quatre euros, qu’elle fait durer sur deux repas. « C’est tout prêt, ça ne me demande pas de travail », assure-t-elle, même si sa moue laisse entendre que le goût laisse à désirer. « Au début, je prenais aussi une aide-ménagère le dimanche, mais c’est le double du prix. » , ajoute-t-elle. De temps en temps, elle fait patienter les factures quelques jours avant de les payer, « tant que ça ne dérange personne… Ce n’est pas toujours facile quand on est seul. L’argent, c’est un peu ça qui nous guide, n’est-ce pas ? »
Jeannette ne se plaint pas. De toute façon, « la misère » elle l’a connue toute sa vie. À 15 ans, elle travaillait déjà dans les champs avec son père. « C’était du travail d’homme ! Mais mon père, il n’en avait rien à faire. » Elle se rappelle les journées entières à biner les betteraves : « Dix hectares à nous deux ! Ah ça oui, j’étais bonne à la binette. » L’hiver, c’était la coupe du bois : « Un jour papa m’a collé une hache dans les mains, sans m’expliquer comment faire. »
« Maitresse, c’est le métier que j’aurais désiré faire »
Son mariage, en 1947, ne lui apporte guère plus de confort. Son mari, « un paysan du coin illettré, qui aimait aller au bistrot, discuter avec les gens le dimanche et manger » n’avait jamais un sou en poche. À la maison, c’est elle qui gère tout. Elle s’occupe de ses deux filles, désormais « parties au large ».
Plus tard, elle travaillera dans une école. « Maitresse, c’est le métier que j’aurais désiré faire », confie-t-elle. Elle sera plutôt femme de service. « Mais à force d’être plié en deux, j’ai eu des problèmes aux reins. J’étais arrêtée à tout bout de champ. Alors, les médecins m’ont déclaré inapte au travail à 57 ans. »
Désormais, les journées de Jeannette sont rythmées par les mots mêlés, le Scrabble en solitaire, et les visites hebdomadaires des bénévoles des Petits Frères des Pauvres. L’arthrose la diminue physiquement et la rend dépendante. Pour autant, pas question de partir d’ici. « J’adore ma maison, j’en ai tellement manqué quand j’étais chez mes parents. Je me trouve tellement bien ici que le reste, je m’en fous. ».
L’été, la porte-fenêtre du salon qui donne sur le jardin reste toujours ouverte. Même si elle ne sort plus. Elle aime sentir l’air passer. Un peu partout sur les murs de la pièce, le papier peint jauni se décolle. Peu importe également. Jeannette préfère s’arrêter sur les imposants canevas accrochés çà et là, qu’elle incite à examiner de plus près : « Il faut bien regarder les chevaux, on croirait qu’ils sont vrais. Dans la paille, il y a trois sortes de couleurs ! » Sur les étagères, une collection de livres France Loisir côtoie un chef-d’œuvre oublié de la littérature : Raboliot. Ses yeux s’émerveillent : « Oh mon Dieu Raboliot ! C’est Maurice Genevoix, l’écrivain du département qui l’a écrit. » D’une mémoire intacte, elle conte alors l’histoire de ce prix Goncourt 1925 sur la vie d’un braconnier libre de Sologne.
Pour cette nonagénaire vivant seule dans sa maison d’Escrennes, ce soutien est devenu un précieux lien avec le monde extérieur. L’accompagnement se traduit principalement par des visites régulières de bénévoles. Au fil du temps, une véritable complicité s‘est tissée entre Jeannette et ses visiteurs. Occasionnellement, Jeannette participe à des sorties organisées par l’association. Récemment, elle a pu profiter d’une balade en péniche, une nouvelle expérience à 98 ans. « Fallait que je connaisse ça, c’était la première fois », confie-t-elle avec enthousiasme.
1100€/MOIS
Les factures, c'est le plus gros poste de dépenses. L'eau, l'électricité, le gaz, le téléphone... J'arrive à les payer, mais c'est dur...
Le sourire est timide et la posture droite. Clairement, Thérèse n’a pas l’habitude de recevoir du monde. Ni même d’en côtoyer. Ce jour-là, Brigitte, la bénévole qui l’accompagne depuis trois ans, est venue apporter un soutien : « Elle était très renfermée sur elle-même avant les Petits Frères des Pauvres », explique-t-elle.
L’appartement qu’occupe Thérèse à Courtenay est une ancienne boucherie. Elle se souvient y être venue avec sa mère lorsqu’elle était petite. Aujourd’hui, c’est un logement social. À l’intérieur, la déco est modeste, témoin d’une vie simple. « Cela fait bientôt 22 ans que je vis ici », commente-t-elle.
Atteinte d’un handicap, Thérèse n’a jamais pu travailler. Elle a passé toute sa vie aux côtés de ses proches. « Ma mère, c’était un peu mon pilier. Je suis restée à la maison avec elle jusqu’à son décès il y a 40 ans. Puis j’ai vécu avec mon frère, jusqu’à son suicide il y a quatre ans ». Fille d’une garde-barrière, elle a grandi au rythme des trains, s’enracinant dans cette terre du Loiret qui l’a vue naître et grandir.
À 70 ans, Thérèse vit désormais seule et se débrouille avec sa petite retraite : l’ASPA complétée par l’Allocation aux Adultes Handicapés (AAH). « À peine 1 100 euros par mois », précise-t-elle. Une somme qui lui permet tout juste de subvenir à ses besoins essentiels. Le loyer, heureusement allégé par les APL, ne lui coûte qu’une centaine d’euros. « Les factures, c’est le plus gros poste de dépenses, détaille-t-elle. L’eau, l’électricité, le gaz, le téléphone… J’arrive à les payer, mais c’est dur. »
« On réduit sur la nourriture. »
Avec le temps, Thérèse a appris à faire des sacrifices. « On réduit sur la nourriture. Les loisirs ? Eh bien, je n’en ai pas, mis à part avec les Petits Frères des Pauvres. » Sans permis de conduire, elle dépend des autres pour ses déplacements, notamment pour ses rendez-vous médicaux à Montargis, à 30 km de chez elle. « Si je dois renoncer à certains soins, comme passer un scanner ou une radio, c’est parce qu’il n’y a rien ici et qu’il n’y a pas de transports. Si je n’avais pas ma sœur pour m’y amener, je ne sais pas comment je ferais ».
Le logement de Thérèse, bien que social, n’est quant à lui pas totalement adapté à ses besoins. « Je ne peux pas monter dans ma baignoire », révèle-t-elle. Dans la salle de bain plongée dans l’obscurité – l’ampoule est grillée – Thérèse montre sous le regard stupéfait de la bénévole l’objet inaccessible avec sa jambe instable. « Le bailleur n’a pas voulu qu’on installe une douche à l’italienne. » À la place, un siège en plastique, seule concession à son handicap, trône dans la baignoire.
« Une expérience qu’elle n’oubliera jamais. »
Malgré tout, Thérèse s’efforce de sortir de sa zone de confort. L’année dernière, elle a vécu une aventure inattendue : un voyage à Djerba, organisé par les Avions du Bonheur et les Petits Frères des Pauvres. Première sortie hors de France, premiers pieds dans la mer. « C’était super », résume-t-elle. Brigitte, fière, abonde : « Au début, le dépaysement a été compliqué : prendre l’avion, découvrir un environnement différent. Tout ça, ça l’a impressionné. Mais c’est une expérience qu’elle n’oubliera jamais. »
Depuis peu, Thérèse s’est lancée dans le numérique. Une suggestion de sa sœur pour combattre la solitude. « Je suis assez accro », avoue-t-elle, un sourire illuminant son visage habituellement réservé. Depuis son canapé, tablette en main, elle passe une bonne partie de ses journées à naviguer sur Facebook, likant ici, commentant là. Une fenêtre virtuelle devenue désormais un lien essentiel vers le monde extérieur.
Depuis trois ans, les Petits Frères des Pauvres suivent Thérèse. L’association déploie un accompagnement sur mesure : une bénévole lui rend visite régulièrement, brisant ainsi sa solitude. Deux fois par mois, Thérèse participe aux activités collectives à Montargis, une rare occasion de sortir de chez elle. Entre ces rencontres, un suivi téléphonique a également été mis en place. Thérèse bénéficie également des séjours organisés par l’association, comme son voyage à Djerba.
1100€/MOIS
Moi qui voulais continuer à travailler, j’ai pleuré… Mais la sécurité sociale m’a dit que c’était fini. Si même eux vous disent ça, c’est qu’il n’y a plus rien à faire.
Quartier des Glacis, Dunkerque. L’un des plus vieux de la ville. Un symbole de la reconstruction. Ici, les noms des immeubles évoquent la guerre : Churchill, de Gaulle, Leostic… Ici aussi, comme un peu partout dans la ville, les façades en briques rouges contrastent avec la couleur laiteuse du ciel. C’est une matinée de juillet pluvieuse et les rues sont désertes. Seules les mouettes jouent les sentinelles perchées sur des lampadaires. L’avenue principale – « de la Libération » – divise cette cité populaire en deux. Juste derrière, dans une petite rue, se trouve le bâtiment de Chantal : une résidence pour personnes âgées autonomes.
Doucement, elle commence à raconter : « Je vis ici depuis 30 ans. C’est un immeuble qui mixe personnes âgées et travailleurs. On est mélangé, on se côtoie. » À l’entendre, elle ne se met pas dans la case des personnes âgées. Elle était là bien avant d’obtenir ce statut, quand elle était encore en activité.
Cependant, elle a le droit de participer aux animations proposées dans la salle commune du rez-de-chaussée. Sur une feuille tapée à l’ordinateur, elle montre son planning mensuel.” J’ai des activités avec les Petits Frères des Pauvres, celles d’ici et j’ai la belotte à l’extérieur. Comme ça, toute ma semaine est pleine, explique-t-elle satisfaite.
« Pouf, plus rien »
Chantal a 68 ans. C’est en mère courage qu’elle a débarqué à Dunkerque il y a 40 ans. Son fils de trois ans ne supportait pas l’air de la région parisienne. Trop polluée. Il lui fallait celui de la mer. L’allergologue lui a donc conseillé la Vendée ou le Nord. « J’ai choisi ici parce que je connaissais un peu de monde. » Avant d’emménager, elle a enchaîné pendant deux ans les trajets Paris-Dunkerque avec son fils. Tous les week-ends. « À peine arrivés, on allait à la plage, comme ça, je n’avais pas besoin de lui donner de médicaments. Il faisait des foyers pulmonaires, il était hospitalisé à répétition, c’était la folie. J’arrivais ici et hop : la plage. Après, on repartait le lundi matin de bonne heure pour que je puisse être au travail à 9 heures. » C’était éreintant. Mais le sacrifice en valait la peine : « C’était le seul enfant que j’avais, j’étais seule, j’étais libre de faire ce que je voulais. »
Jusqu’à 50 ans, Chantal a travaillé comme secrétaire médical. D’abord en milieu hospitalier, puis dans le privé à Dunkerque. Son patron, un médecin, l’a poussé au burn-out. Elle se fera hospitaliser au bout du rouleau. « Moi qui voulais continuer à travailler, j’ai pleuré… Mais la sécurité sociale m’a dit que c’était fini. Si même eux vous disent ça, c’est qu’il n’y a plus rien à faire. » Du jour au lendemain, un monde qui s’écroule : « Pouf, plus rien ».
Son fils était déjà grand, parti faire sa vie. Elle l’a eu à 23 ans. Elle est d’abord restée cloitrée chez elle. Les médicaments prescrits lui faisaient tourner la tête : elle trébuchait à chaque fois qu’elle sortait. « Je me retrouvais plâtrée de partout ». Sur son corps, elle montre les endroits des blessures « Je me suis cassée ici, ici, là… ». Le pouce, la cheville, le bras, l’autre bras… Il y a quatre ans, c’est l’assistante sociale qui la suivait depuis « les problèmes psychologiques » qui l’a orientée vers les Petits Frères des Pauvres. « Pour me remettre un peu dans la vie active.»
« Faut être passé par là pour s’en rendre compte. »
Sa retraite s’élève à 1 100 euros par mois. Près de la moitié partent dans le loyer. « Disons qu’il ne faut pas faire de folies. On doit se priver un peu, c’est obligatoire. » Les folies, pour Chantal, ce serait une place de cinéma, un théâtre ou un resto avec des amis, comme avant quand elle avait un salaire. Autrefois, les folies, c’étaient plutôt des cadeaux à Noël pour son fils : « C’est arrivé que je ne puisse pas acheter quoi que ce soit. Ça fait mal. Faut être passé par là pour s’en rendre compte et s’apercevoir de ce qu’il se passe vraiment. »
Pour les courses, Chantal a mis en place un système. Toutes les semaines, elle ne doit pas dépasser les 60 euros. Toutes les semaines, elle achète inlassablement la même chose. Le matin, elle avale un yaourt, un jus de fruit et une crêpe. Le midi, ce sont des plats préparés. Le soir, une soupe et un bout de fromage. Toute notion de plaisir liée à la nourriture semble avoir été mise de côté. « Voilà, on mange pour manger. »
« C’est déjà ça. »
Elle montre, ravie, les murs couleur vert olive et blanc cassé de la salle à manger. Ce sont « les ptits’ frères » qui lui ont offert. De quoi habiller la grande pièce meublée au plus simple : deux immenses commodes en bois qui appartenaient à sa grand-mère, un canapé et quelques cadres photos. Aujourd’hui, c’est avant tout pour eux qu’elle témoigne. Elle espère rendre un petit peu la pareille à l’Association qui l’a aidée à sortir de sa mélancolie. Elle ne veut pas trop se plaindre.
Comme beaucoup de personnes âgées, elle minimise la situation : « Je vis bien malgré tout. Après tout ce que j’ai traversé : un père abusif, un mari violent. Maintenant, je suis tranquille. » Elle arrive même à mettre quelques euros de côté. De quoi rendre visite à son fils à Chambéry. Il est très malade, difficilement curable. Elle est très inquiète. « Je suis allée le voir au mois de juin, ça n’allait pas du tout. S’il n’y a pas d’urgence, je reviendrais à Noël. Heureusement que j’avais de quoi me permettre un billet de train pour descendre. » Il a cinq enfants. Si le pire arrivait, elle voudrait pouvoir se rapprocher d’eux. Mais, pour ça il faudrait épargner un peu plus. « En attendant, j’y vais quand je peux. » Elle marque une pause, lève la tête puis s’efforce de sourire : « C’est déjà ça. »
Depuis 2020, Les Petits Frères des Pauvres accompagne Chantal, 68 ans, dans son quotidien à Dunkerque. Les actions initiées sur recommandation d’une assistante sociale, visent à rompre l’isolement de cette retraitée vivant seule.
Les bénévoles proposent à Chantal un programme varié d’activités hebdomadaires. Deux d’entre eux lui rendent visite régulièrement, tissant des liens d’amitié durable.
L’association a également contribué à l’amélioration de son cadre de vie en finançant une partie de la rénovation de son appartement. Les séjours de vacances et sorties culturelles permettent aussi à Chantal de maintenir une vie sociale active malgré ses contraintes financières.
800 à 900€/MOIS
J'ai trouvé un truc il n'y a pas très longtemps : les bas prix. Au magasin, tous les jours il y a un bac plein de nourriture pas chère. La viande, tu l’as pour pratiquement rien.
Il soutient le regard et dit : « Ma vie, je l’ai commencée par la fin. À 11 ans, je suis mort. J’ai été tué. » Puis il est revenu. Renversé par une voiture, réanimé par les pompiers. Ensuite, il a dû tout réapprendre : lire, écrire, parler. Cette expérience a façonné son existence. Façon revanchard. « J’ai vécu d’une façon très spéciale, là où beaucoup de gens n’auraient pas réussi. »
Dans le studio, l’air est chargé. Une vague odeur de cigarette froide persiste, la télé braille, le lit est en vrac. Comme si la visite était inattendue. Pourtant, le discours est rodé. Il déballe : « J’ai toujours été en décalage avec les autres, parce que j’ai vécu. J’étais complètement refermé sur moi parce que les gens n’avaient pas la même façon de voir les choses que moi. »
« Je suis comme les autres. »
Alain a débarqué à Lille il y a deux ans. Les Petits Frères des Pauvres lui ont trouvé ce petit appartement sous les toits. Avant ça, il était à la rue. Avant ça encore, il était en Belgique. Il y a vécu pendant 30 ans. Il travaillait dans une brasserie comme cuistot. Mais la pandémie a frappé et l’entreprise a fermé. « À 60 ans, pour retrouver du boulot, c’est compliqué. » Alors il est parti à Lille, parce que c’était une grande ville. Pas trop loin de là où il a grandi.
Son adolescence à Maubeuge est marquée par son accident. Son cerveau doit se remettre du traumatisme, son bras gauche tremble sans raison, sa hanche est bancale. Il est victime de moqueries et se met à l’écart des autres. À l’école, les professeurs ne lui prédisent pas un grand avenir. « Au lycée on m’a supprimé tous les cours jugés non nécessaires : sport, histoire, sciences… Ils ont dit à mon père ‘tant qu’il sait lire, écrire et compter, il pourra s’en sortir. Il n’a pas besoin d’autre chose’. » Ensuite, il a passé un diplôme de boulanger, « le seul métier qu’ils ont estimé que je pouvais faire ».
À 20 ans, il s’est engagé dans l’armée, afin de prouver qu’il était capable. « Une fois mon service terminé, je suis allé voir le médecin et j’ai lui dit : ‘Voilà, je suis comme les autres maintenant. Donc je fais ce que je veux’. » Il choisit cuisinier et s’en va à Paris.
« La viande, tu l’as pour pratiquement rien. »
Dans quelques mois, Alain touchera sa retraite. Pas-grand-chose : entre 800 et 900 euros. « Toujours 300 euros de plus que maintenant. » Maintenant, c’est du RSA qu’il vit. Mais Alain jure être organisé, toujours prévoyant, c’est une règle de vie : « Je n’improvise jamais. J’ai appris à imaginer les difficultés que j’allais rencontrer. » Pour se ravitailler, il connait les adresses solidaires de Lille. « Sinon, j’ai trouvé un truc il n’y a pas très longtemps : les bas prix. Au magasin, tous les jours il y a un bac plein de nourriture pas chère. La viande, tu l’as pour pratiquement rien. »
Ses semaines sont rythmées par une succession d’activités proposées par des associations : petit- déjeuner solidaire et repas dominicaux avec le réseau Entourage, cours d’informatique avec Emmaüs Connect, visite bi-hebdomadaire des Petits Frères des Pauvres… Selon lui, survivre, c’est avant tout rester actif : « Tous les jours, il faut avoir un petit quelque chose à faire pour s’obliger à sortir, sinon vous vous enterrez chez vous. »
« Celui qui est pauvre, c’est celui qui n’a rien. »
Il aime les thrillers historiques. Sur la table, il pose six bouquins de Jean d’Aillon : « C’est comme un Maigret du moyen-âge. J’aime bien parce qu’il parle des petites gens ». C’est comme ça aussi qu’il cherche à faire sa « propre psychologie ». À l’adolescence, il s’intéressait aux tragédies de l’histoire : la libération des camps, la vie d’Anastasia Romanov, le naufrage du Titanic… « Pour me prouver à moi-même qu’il y a des personnes qui ont vécu des choses pires que moi. »
De tout ça, sa conclusion, c’est que malgré tout, il a réussi à surmonter les obstacles. Dans un élan de fierté, il analyse : « J’ai une richesse intellectuelle, des connaissances, j’ai vécu. Celui qui est pauvre, c’est celui qui n’a rien du tout. Celui qui est arrivé à mon âge, mais dont la vie a été morne, qui n’a rien fait…lui, il peut dire qu’il est vraiment pauvre ». Désormais, il dit ne plus espérer grand-chose. Il décrète : « La retraite, c’est beaucoup de choses qui se terminent. Je suis à l’automne de ma vie. La fin se précise, je n’ai plus à faire de projets sur le long terme. » Même s’il pourrait vivre encore 40 ans. Le sourire en coin, d’un humour grinçant, il réplique : « Ça, ça ne m’arrangerait pas. »
Depuis son arrivée à Lille, Alain bénéficie du soutien des PFP. Deux fois par semaine, il participe à différentes activités. L’Association organise des moments conviviaux auxquels il participe comme des journées à la mer ou encore le repas de Noël. Au-delà de ces rencontres, les Petits Frères des Pauvres ont joué un rôle crucial en proposant à Alain son logement actuel.
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