Maurice LEPOUTRE – bénévole, chargé d’antenne.« Il était au rez-de-chaussée, dans une chambre tout seul, alors qu’il était aveugle. Imaginez un fauteuil au fond de la pièce. À sa droite une chaise, sur la chaise, un briquet, un cendrier et un paquet de clopes, et à sa gauche un poste de radio, où il écoutait les Grosses Têtes…Le week-end, personne ne rentrait chez lui. Il y avait juste une personne qui lui donnait son petit-déjeuner le matin… ». Quand Maurice Lepoutre évoque Henri qu’il a accompagné un an, l’émotion s’infiltre dans sa voix. Son sourire s’élargit quand il ressuscite les bons moments passés ensemble… jusqu’au bout. « Cet homme, deux jours avant qu’il meure, on a encore fait la fête avec lui, au repas de Saint-Nicolas ! ». Très modestement, il raconte la pugnacité qu’ils ont dû déployer pour qu’Henri intègre une maison de retraite, où « il a pu être quelqu’un au milieu du monde », où ce monsieur, qui avait connu la rue, a pu vivre décemment les derniers mois de sa vie.Il a fallu « faire un sacré ramdam » pour y arriver.Et se battre contre les moulins à vent de la routine, de l’indifférence… Mais lutter contre le manque de reconnaissance, l’invisibilité des personnes âgées n’effraie pas Maurice ni les bénévoles de l’antenne de Roubaix (Nord). C’est même leur sport favori ! La première rencontre avec Henri s’est passée derrière une porte, se souvient le bénévole. Seule la femme de ménage a sa clef, et il n’est pas question d’en faire un double, prévient l’association de services à domicile, de peur que l’aide-ménagère soit accusée si d’aventure la clé était perdue ! La situation ubuesque se dénoue après qu’Alain Deconynck, responsable de l’antenne, eut menacé l’association d’alerter SOS Maltraitance. Henri J. est signalé aux petits frères par la Caisse régionale d’assurance maladie (Cram), le 9 décembre 2004.Il est devenu non-voyant à la suite d’un accident ; son logement n’est pas adapté à son état et rien n’a été fait pour l’aider à vivre sa cécité soudaine. Maurice va le voir régulièrement, se démène pour lui obtenir une canne blanche, pour qu’on prenne en compte ses besoins et qu’il retrouve toute sa dignité : « À partir du moment où un Vieil Ami exprime une souffrance particulière, on est sa parole… ». Il prend un air de gamin espiègle pour raconter le siège du bureau du médecin du Vert-Pré, la maison de retraite médicalisée qui a été sollicitée pour intégrer Henri : « Nous avions insisté auprès des partenaires qui ne rendaient pas bien compte de son état, et nous étions six ou sept autour de la table à plaider sa cause… ».Pari gagné, à l’issue de visites assidues auprès de l’assistante sociale et du médecin du lieu : huit mois après, en novembre 2005, Henri avait sa place dans l’établissement. Ce que Maurice ne dit pas, par pudeur, c’est la complicité qui s’est installée entre eux deux au long de ce bref accompagnement. Il est à proprement parler devenu les « yeux » d’Henri. Pendant ces vacances à Maroilles, en juillet 2005 – il avait fallu faire preuve de la plus grande ténacité pour pouvoir l’emmener – « il lui décrivait tout le temps ce qui l’entourait et ça faisait rire Henri, il en redemandait… », témoigne Alain Deconynck, évoquant les deux « compères allant arroser les arbres sous les étoiles », le grand gaillard aux yeux bleu porcelaine et le petit homme au sourire flottant, perdu dans un rêve intérieur… Les « coups tordus » dont sont victimes les personnes âgées tout comme les histoires d’accompagnement exemplaires, les trente-deux bénévoles de Roubaix en racontent volontiers.Leur credo est des plus fraternels : « continuer à aller vers ceux qui souffrent de solitude, et qui sont oubliés de tous », affirme Maurice, défendant « la pauvreté en lien avec l’amnésie sociale », dans la mesure où les personnes âges vulnérables le sont encore plus lorsqu’elles sont oubliées ou ignorées et il y a urgence.A Roubaix, explique le bénévole, entré dans l’association en 2001 quand le « chômage [lui] est tombé dessus », 300 personnes de plus de 65 ans vivent seules. La ville de la métropole lilloise détient quelques records en matière de désaffection sociale. Sur 98 000 habitants, plus de 7 000 d’entre eux sont allocataires du Revenu minimum d’insertion (RMI). La calcul est simple : « Dans un futur proche, une grande partie de la population bénéficiera du revenu minimum vieillesse. ». Pourtant, la priorité, selon Maurice qui assume aussi la responsabilité de « chargé d’antenne » – à ce titre, il est responsable des trois équipes de bénévoles –, est de s’attaquer à la « pauvreté relationnelle ». Il s’agit alors d’apporter sa présence et son écoute à trente personnes, dont les trois-quarts se déplacent en fauteuil roulant, de les inciter à partir en vacances et de les convier aux animations collectives proposées par l’antenne, tels l’atelier Evasion, Santé ou Intergénération.Le feu sacréMaurice qui vient de mettre sur pied la troisième équipe de bénévoles, propose aux candidats une formation sur le terrain, essaie de transmettre le feu sacré, la « passion » qui l’animent : « En général, il y a eu un déclic au départ. [Le candidat] a eu connaissance des petits frères soit par relations, ou par la maison des associations. L’étincelle est là, je tâche de faire en sorte qu’elle prenne ! Il faut battre le fer tant qu’il est chaud, et souvent j’y arrive. J’essaie de parler avec mon cœur de ce que j’ai vécu moi-même. ». Dans une équipe qui s’attache à puiser dans la mémoire associative de quoi réinvestir le terme de « fraternité », Maurice Lepoutre avoue s’inspirer des écrits d’Armand Marquiset et justifie son engagement par le fait que, comme lui, il veut « croire que des vies éprouvées peuvent s’achever comme des histoires d’amour ».Est-ce un hasard ? Il est né un 15 avril 1946, le jour même où le fondateur des petits frères donnait naissance à l’association.EN SAVOIR +QUELLE ACTION ?Aller à la rencontre des personnes isolées et vulnérables, être vigilant aux changements qu’elles vivent, impulser auprès d’elles des idées de changements positifs et pour le bénévole chargé d’antenne, élu pour trois ans, avoir un regard global sur les personnes accompagnées et les trois équipes de bénévoles, avoir un « avis d’opportunité » sur les projets engagés, dans un échange constant avec le permanent et les autres bénévoles.RÉSEAUX MOBILISÉSTous les partenaires associatifs et institutionnels de la ville, les bénévoles pouvant se transformer en médiateurs ou fédérateurs de projets, s’exerçant à « rendre visibles des coopérations invisibles ».SIGNES PARTICULIERSLe fonctionnement de l’antenne s’appuie sur un mode de « démocratie fraternelle participative » où les trente-deux bénévoles s’investissent dans toutes les sphères de la vie associative régionale, notamment les bénévoles élus pour des mandats de trois ans, pour coordonner l’animation, être « chargés du lien », ou « chargé d’antenne ».
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