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A quand une politique du vieillissement durable ?

Alain Villez et Armelle de Guibert prennent la parole dans Actualités Sociales Hebdomadaires. © Alexandre Debieve / Unsplash
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Dans une tribune parue dans les ASH, Alain Villez et Armelle de Guibert, respectivement président et déléguée générale des Petits Frères des Pauvres, se félicitent du lancement par le gouvernement d’un débat national sur la dépendance. Auquel leur association compte bien contribuer, forte de son expertise dans l’accompagnement des aînés les plus fragilisés.
Détresse inouïe”, “angoisse”… ces mots, forts, prononcés par Emmanuel Macron devant le Congrès réuni à Versailles, alors qu’il évoquait la situation des personnes âgées “vivant en situation de dépendance”, entrent en résonance avec les réalités vécues au quotidien auprès des personnes que nous accompagnons.
 
La perte d’autonomie est en effet la deuxième préoccupation de nos aînés. Une étude menée par l’institut CSA pour notre association en 2017 révélait que 59 % d’entre eux sont préoccupés par cette question.
 
Lorsque cette dépendance s’installe, elle crée ou renforce l’isolement. Mener à son terme le chantier de la perte d’autonomie, c’est donc aussi contribuer à lutter contre l’isolement de nos aînés. Les Petits Frères des Pauvres se réjouissent du lancement d’un débat national tel qu’annoncé par la ministre des Solidarités et de la Santé. Nous souhaitons vivement que ce nouveau temps de réflexion et d’échanges permette, cette fois-ci, d’aboutir à un modèle pérenne qui réponde aux besoins de nos aînés. Après les espoirs déçus, la situation ne saurait attendre plus longtemps.
 
Alors que nos politiques publiques sont progressivement passées, ces dernières années, d’une politique de la vieillesse à une politique du vieillissement, il s’agit d’aller au bout de la logique en adoptant comme préalable le changement de regard sur les personnes âgées pour passer à une politique du vieillissement durable.
 
Or, pour l’instant, le compte n’y est pas. Le président de la République l’a reconnu lui-même lors de son discours de la Mutualité : “Nous devons dire que notre réponse n’est pas à la hauteur en termes de solidarité collective sur la dépendance.” Nous partageons ce constat. Il n’est plus possible de se contenter de l’augmentation du nombre de places en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou du développement des prestations de service à domicile dans une logique marchande.
 
Face à la longévité accrue, quelles réponses apporter ? Les Petits Frères des Pauvres souhaitent contribuer à ce débat comme ils l’ont fait lors des précédentes consultations, forts de leur expérience, depuis 1946, auprès des personnes âgées isolées.

Un droit universel à compensation

Une des réponses passe nécessairement par la mise en place d’un droit universel à compensation quels que soient l’âge et l’origine du besoin d’aide à l’autonomie. Passons d’une logique où la personne doit s’adapter à la société à une logique de compensation universelle dans laquelle la société apporte les moyens à tous d’exercer la plénitude de leur vie sociale et citoyenne. Une telle orientation permettrait un véritable rapprochement des politiques d’autonomie en direction des personnes âgées et des personnes handicapées avec la suppression de la barrière de l’âge qui induit une différence anormale de traitement. Une première étape pourrait résider dans l’harmonisation des dispositifs existants de compensation, la prestation de compensation du handicap (PCH) et l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
 
Ce droit, étant donné sa nature universelle, doit s’appuyer sur la solidarité nationale par souci d’égalité, notamment territoriale. Cette solution avait d’ailleurs été avancée en son temps par Nicolas Sarkozy et François Hollande. Hélas, ce chantier n’a finalement pas été mené en raison de contraintes, essentiellement budgétaires, alors même que des solutions auraient pu permettre d’avancer au-delà des quelques avancées de la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) de 2015 qui n’est globalement pas à la hauteur des besoins.
 
Cette loi a rencontré un écueil pour appréhender la diversité des situations. Les besoins ne sont évidemment pas les mêmes entre une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer ou quelqu’un en situation de handicap moteur. Pour bien accompagner, il s’agit déjà de réaliser une évaluation correcte à la fois des ressources, des besoins ainsi que des souhaits de la personne. La prise en compte de l’entourage (famille, bénévoles…), le recours aux regards croisés, pluridisciplinaires, ainsi que la conduite par des personnes formées spécifiquement apparaissent comme des pistes. Et, de ce point de vue, la grille AGGIR (autonomie, gérontologie, groupes iso-ressources) ressemble davantage à un outil destiné à un tri réducteur qu’à un instrument au service d’une évaluation multidimensionnelle qui prenne en compte la diversité des situations. D’autres modèles existent, à l’instar du Guide d’évaluation des besoins de compensation de la personne handicapée (GEVA), qui pourront inspirer, à l’issue de la phase de concertation, le gouvernement pour un nouveau modèle où l’humain prend le pas sur les seuls éléments comptables.
 
Ceux-ci ne peuvent représenter l’alpha et l’oméga de nos politiques de solidarité : l’accompagnement des personnes âgées représente un investissement. “Les personnes âgées sont riches d’être…”, indiquait le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis sur les enjeux éthiques du vieillissement : cette approche fait écho aux valeurs portées par notre association pour qui la personne âgée est un être toujours en devenir. C’est une chance pour chacun, comme une chance pour notre société tout entière, de prendre soin des plus fragiles. Ce sont eux qui nous inspirent pour mettre au cœur de notre société de la sollicitude, de la fraternité, plus d’humanité.

La problématique du logement

Changer notre regard sur les personnes âgées passera par l’innovation dans le champ social. Ceci est tout particulièrement vrai en matière d’habitat. 84 % des personnes âgées de 60 ans et plus interrogées par l’institut CSA déclarent souhaiter vivre chez elles plutôt qu’en maison de retraite médicalisée, solution privilégiée par seulement 3 % des personnes interrogées. La dégradation des conditions d’exercice du personnel – en dépit de leur forte implication, comme le mouvement social justifié du début de l’année 2018 nous l’a rappelé – et l’insuffisance des financements publics génèrent une dégradation inacceptable des conditions de vie dans les EHPAD. Les coûts trop élevés pour les personnes avec des petites retraites, la peur de “peser” financièrement sur ses proches, directement ou par le biais de la récupération des aides sur la succession, le manque de lisibilité de l’offre, les inégalités territoriales… créent des stratégies d’évitement qui peuvent in fine devenir préjudiciables à la santé même des personnes concernées.
 
Des solutions alternatives existent pourtant, entre le domicile et l’EHPAD. Ces habitats peinent encore à être reconnus, et donc financés. Leur reconnaissance connaît toutefois des avancées grâce au soutien de la direction générale de la cohésion sociale et la future loi “ELAN” (“évolution du logement, de l’aménagement et du numérique”) : une perspective très attendue par notre association. Ces habitats alternatifs plus adaptés à la diversité des besoins peuvent jouer un rôle essentiel en matière de prévention de la perte d’autonomie : petites unités de vie, hébergement temporaire… Les Petits Frères des Pauvres ont ouvert en 2016, à Beauvais (Oise), une colocation à responsabilité partagée pour des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. L’habitat alternatif peut également représenter une solution pour le public spécifique des personnes âgées sans abri et fragilisées par la dépendance pour lesquelles les outils traditionnels de réinsertion ne sont pas adaptés. En permettant une stabilisation de leur parcours, les pensions de famille constituent une solution intéressante, sous réserve que le besoin de coordination des acteurs, la médicalisation, l’accès et le suivi des soins soient reconnus et financés.

L’importance du bénévolat

Ces solutions placent le lien social, la relation à l’autre, au cœur de leur projet : “L’habitat solidaire, citoyen et accompagné est un habitat dont le principe actif et commun est de compter sur l’implication des personnes concernées et le lien social pour faire face au vieillissement” (A. Labit, 2016), comme le rappelle le guide repère de juillet 2017 réalisé par le collectif “Habiter autrement”. Dans cette dynamique, le bénévolat a toute sa place, en complémentarité des autres acteurs. Comme notre association le soulignait dès 2011, un bénévolat d’accompagnement peut se substituer à l’entourage familial quand il n’existe pas pour créer avec la personne âgée seule une relation d’alter ego dans la confiance et la durée permettant de resituer les intervenants professionnels dans une relation juste et complémentaire. Le bénévolat est très souvent indispensable également pour soutenir les familles et éviter leur épuisement.
 
Les Petits Frères des Pauvres appellent à la nécessaire articulation des solidarités publiques et privées (familiales et citoyennes) dans les débats à venir auxquels notre association participera activement en avançant sa vision, humaniste et fraternelle, au service des aînés les plus fragilisés. 
 
Tribune parue dans les Actualités Sociales Hebdomadaires, sept 2018
 
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Audrey Achekian
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