Il faut bien faire attention à Khalil. Ce n’est pas parce qu’il est en fauteuil que les coups de pieds ne peuvent pas partir, ce n’est pas un tendre. prévient Stéphanie. Khalil est l’un des habitants réguliers de la gare Saint-Charles ; depuis mars, c’est aussi là que patrouille la jeune femme de 33 ans, agent d’intervention du Samu social.Elle y connait tout le monde, des femmes de ménage aux cheminots, des policiers aux squatteurs de wagons, qui, la nuit venue, brisent des fenêtres pour s’y faire un abri de fortune. Et vider le mini-bar , soupire Stéphanie. La gare est un monde dont le voyageur ne saisit, fugitivement, que la surface.Alors des pas tendres , comme Khalil, la jeune femme en croise chaque jour sur ses maraudes. L’autre jour, c’est Paulo, le Martiniquais qui lui a balancé tout ce que son vocabulaire comptait de mots orduriers. Un oiseau que JO, le chef de la rare de Saint-Charles, connaît bien aussi : Dix fois depuis le début de la semaine, on a demandé à la police de l’embarquer », peste-t-il. Elle n’est pas venue et Paulo a mis le feu aux bureaux de la SNCF.A la gare, ce matin, Stéphanie est venue prendre des nouvelles de ses protégés. La vieille Fatima, dont il ne faut pas toucher le chariot, sous peine de l’entendre hurler ; Khalil qui vient de perdre papiers d’identité et carte bleue et qui attend qu’on lui rende son fauteuil roulant réparé. Là, il veut mourir : j’ai 42 ans, je suis paraplégique, je n’ai pas de famille, je vais rentrer à Paris me faire une overdose. La réalité que côtoie Stephanie dans sa gare, Willy, 38 ans, se la prend aussi désormais de plein-fouet : ce professeur de vente au lycée Brochier, père de trois enfants et amoureux de ses minces cigarillos, est bénévole pour les petits frères des Pauvres. L’association l’a embarqué dans un nouveau projet en direction des seniors de la rue.Dans ce cadre, il patrouille une fois par mois avec un agent du Samu social – d’ordinaire, c’est Denis. Grâce à sa fine connaissance du terrain, c’est lui qui l’aiguille vers des personnes isolées, âgées de plus de 65 ans, avec qui Willy pourra peut-être, après l’urgence de l’intervention du Samu, tisser un lien fratemel, créer une confiance , les conditions d’une remontée vers la surface. Car sortir quelqu’un de la rue, c’est une bataille âpre. Que souvent, l’on perd, il faut le savoir.Alors oui, le boulot de bénévole est dur, lent, exigeant, ingrat. Il ne faut pas venir pour la reconnaissance , prévient Willy. Beaucoup lâchent d’ailleurs en cours de route. La violence, la crasse, les dépendances, les troubles mentaux, I’insondable désespoir de gens que jusque-là, on ne faisait que croiser, anonymes, sur les trottoirs de la ville est un choc. Pour tous. Or pour faire un ange gardien efficace, il faut aussi être bien dans sa tête, dans sa vie . Solide. C’était le cas de Willy. Pour le reste, le prof a un principe, une ligne de conduite qui a force d’évidence : C’est justement parce que c’est difficile qu’il faut le faire. II n’y a pas grand-chose d’autre à dire.Tout n’est pas noir non plus. La drôlerie, la rencontre et parfois même, la lumière sont au bout du tunnel : prenez Vincent, par exemple (1). Vincent vivait à Saint-Just, dans une cabane où il se faisait bouffer par les rats. Littéralement : il etait attaqué aux doigts, aux pieds. A force de s’apprivoiser mutuellement, Willy a convaincu Vincent d’accepter de l’aide, et finalement, un toit. ‘Je ne dis pas que je le ferai encore dans cinq ans, mais pour I’instant je suis là, voila , commente-t-il. Stéphanie, la nerveuse à l’infinie patience, l’a appris, ‘aider les autres, ça te remonte aussi, toi . Là, Khalil, bien calé dans son fauteuil réparé, repart. Ni merci, ni sourire : la rue est dure, toujours.(1) Le prénom a été modifiéDelphine TANGUY | La Provence | 28 août 2011
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