Will et Fadila ont bien entendu Gisèle quand elle se revendique,
en boucle, autonome et femme de liberté
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« Etre bénévole au domicile de personnes âgées,
ça nous apprend que leur domicile n’est pas « notre » espace à gérer ! »
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Subtil Will, qui n’apporte pas la contradiction, et met sur la piste d’une reconstitution
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Chez Gisèle
Alors, bâtiment D, ascenseur, 3ème étage gauche. « Ca, elle ne se trompe jamais ! C’est que ça fait des dizaines d’années que Gisèle vit ici. C’est son chez elle, où elle aime recevoir ‘ses têtes’, celles et ceux qui ont l’honneur de lui plaire. Et Fadila – c’est la bénévole petits frères qui la visite en alternance avec moi – et moi, ouf, on a l’honneur de lui plaire ! Tu vas voir, elle a une forte personnalité. Pas question que des visiteurs non désirés viennent l‘embêter » !
Gisèle sourit tout de suite à Will – le plaisir y est
Gisèle ne met pas longtemps à venir ouvrir sa porte après la petite sonnerie. Clairement habillée d’un chaud gilet beige, Gisèle sourit tout de suite à Will – le plaisir y est. Puis elle me regarde comme on se pose une question. Will fait les présentations. « Ah, vous êtes aussi petits frères ! », et elle nous invite tacitement, en s’asseyant, à nous asseoir comme elle autour de la table. La table de Gisèle, aucune tornade blanche ne parviendra jamais à la débarrasser des multiples objets de sa vie de tous
les jours : stylos, statuettes, crayons, boules de neige, feutres, mini plantes, vieux papiers d’emballages divers et variés, anciennes listes manuscrites de condiments à ne pas oublier d’acheter.
« Comment ça va, Gisèle ? »
« Je vais bien, comme tout le temps ! »
« Super ! Oh, cette jolie plante à boules rouges, sur ta table, c’est la 1ère fois que je la vois. Elle est jolie ! On t’a dit comment elle s’appelle ? »
« … Ca doit faire 15 jours qu’on me l’a donnée »
« Oh, les noms des plantes, on est tous pareils, ils sont trop compliqués, et on les oublie dès qu’on nous les a dits ! »
« Ah oui, ça c’est vrai ! »
Ravie, Gisèle pose un coude sur sa table et met le plat de sa main sur sa chevelure blanche au volume qu’elle ne tente pas de maitriser.
Thanksgiving … Moi je suis autonome, je suis attachée à ma liberté ! »
« Est-ce que tu sais, Gisèle, qu’aujourd’hui, c’est un jour particulier ? »
« Ah oui, c’est quoi ? »
« Dans mon pays, là-bas en Amérique, c’est le jour de l’année où on fête Thanksgiving ! C’est une fête, une super fête, qu’on vit chaque année le 4ème jeudi de novembre. Ca tombe pile aujourd’hui ! »
« Ca alors ! »
« Oui ! Ce jour-là, les gens ne bossent pas, et pour cause, les entreprises sont fermées ! Alors ils vont manger les uns chez les autres ; c’est une belle occasion de partager la joie avec la famille ou les amis ! »
Gisèle se tait. Sa famille, Gisèle, ça fait des années qu’ils ne l’ont pas visitée. Will laisse s’écouler les secondes de silence. Gisèle reprend avec force :
« Moi, je suis autonome. Je suis attachée à ma liberté… »
« C’est tout en ton honneur »
Spontanément, à l’évocation de Thanksgiving et de ses festivités, Gisèle a affirmé avec conviction quelque chose qu’elle revendique fort : sa liberté.
Gisèle ajoute :
« Oui, je suis libre… Je sais que je vais partir pour toujours… C’est la vie ! »
Petite suspension respectueuse du temps d’échanger. Calmement, Gisèle a enchainé sur sa perception du temps qui lui est maintenant compté.
« Oui mais ce que tu sais aussi, Gisèle, c’est qu’on est là dans une grande égalité. On part tous un jour, mais quand, ça, jamais on ne le sait … Tu m’as confié un jour, Gisèle, que tu seras enterrée à côté de ton mari »
« Bof, oui… Il m’a trompée avec une femme qui était divorcée. Quand il a voulu revenir, j’ai dit non… Je suis une femme libre ».
La revendication réitérée de liberté de Gisèle prend tout son poids. Chacun met en place son système de défense. A ce phénomène courant de société (infidélités, divorces), Gisèle a développé sa stratégie pour se protéger.
Le regard bleu de Gisèle réfléchit, et elle poursuit sa projection dans son partir pour toujours :
« J’ai même organisé mes obsèques. Mon fils, médecin, et ma fille, laborantine, je n’ai aucun contact avec eux depuis des années… Ils n’auront même pas besoin de participer, j’ai tout payé ! Et Ici, ils prendront ce qu’ils voudront, ça m’est égal ».
L’autonomie de faire ses courses et de se faire à manger, tant que ça peut durer
« Ah, mon téléphone sonne ! »
95 ans, Gisèle se lève avec une rapidité insoupçonnée. En quelques pas assurés, la voilà devant son téléphone au fil tirebouchonné. On comprend que c’est la voisine qui viendra la chercher après déjeuner, pour aller faire des courses ensemble.
« C’est super, Gisèle, de faire vos courses accompagnée ! »
« Oui mais c’est loin d’être le soutien des petits frères ! Vous m’apportez plus ! Les courses, je les fais, mais j’ai envie de rien. Que envie d’être autonome et libre, oh oui ! C’est vrai que j’ai plus vraiment envie de cuisiner. Mais après tout, c’est le plus simple qui est le meilleur : une pomme de terre et du beurre dessus, y’a rien de meilleur ! ».
Un petit rayon de soleil de novembre éclaire maintenant Gisèle, mettant en valeur colorée le camaïeu du gilet à boutons nacrés et de la chevelure blanche rebelle aux mises en forme des doigts. Will et Fadila ont bien entendu Gisèle quand elle se revendique en boucle autonome et femme de liberté. Les plateaux repas qu’ils lui avaient proposé de l’aider à organiser, elle les a refusés (« les plateaux repas, c’est pas pour moi ! »). La vélocité motrice de Gisèle, le maintien de son poids, la gentillesse de son voisinage qui l’accompagne faire ses courses, les ont confortés dans le bienfondé du respect de cette volonté farouche de prouver qu’elle peut encore s’acheter à manger.
Aide à domicile, ménage, et soins infirmiers
« Et ton aide à domicile, elle vient toujours te tenir compagnie et faire un peu de ménage ? »
« Bof, oui. Elle passe l’aspirateur partout, mais je m’en fous. Ca sert à rien, je salis rien ! »
Pleine confirmation des paroles de Will qui, avant d’aller visiter Gisèle, m’avait confié :
=> « Etre bénévole au domicile de personnes âgées, ça nous apprend que leur domicile n’est pas « notre » espace à gérer ! On n’a pas forcément à sonner l’alarme pour du désordre ou des couches de poussière. Et il nous faut savoir entendre le refus d’aide ménagère ! Gisèle répondait à notre proposition de l’aider à en trouver une : « Mais le ménage, c’est à moi de le faire, c’est moi qui le fais ! ». Au final, elle en a maintenant une qui vient une fois par semaine, un compromis qui lui va bien, mais dont elle continue de dire qu’elle s’en passerait bien ! »
« Et ton infirmier, il vient toujours te soigner ? »
« Non non, j’ai pas d’infirmier ! »
« Ah mais c’est vrai, je me souviens que Pascal, sans blouse blanche, il ne ressemble pas à un infirmier ! »
« Ah, Pascal ! Oui, il vient. Il est bien. »
Subtil Will, qui n’apporte pas la contradiction, et met sur la piste d’une reconstitution.
Gisèle, chez vous, elle entre la lumière ! Quelle chance vous avez de pouvoir en profiter, sans même avoir besoin de sortir ou de bouger ! C’est drôle, Gisèle, Will et vous, avec ce petit rayon de soleil de novembre, j’ai d’un coup deux paires d’yeux bleus ! Trio de rires.
« Etre ensemble avec Will et aujourd’hui avec Will et vous, oui, ça me plait ! »
Oui Gisèle, nous aussi, ça nous plait !
Le temps partagé avec Gisèle s’écoule rapidement. La capacité de présence de Will à Gisèle est intense. Les affirmations fortes de ce qui la porte, il les entend. Tenter de favoriser son autonomie et sa liberté en boucle affirmées, avec Fadila, Will le fait. Et les petits riens du quotidien qui s’offrent au regard (Oh, votre horloge s’est arrêtée ! Quelle chance, ces arbres à la hauteur de votre grande fenêtre !) alimentent une conversation légère.
Pour amorcer notre départ en douceur, Will regarde l’heure et s’exclame : « Gisèle, c’est qu’il est presque maintenant pour toi l’heure de manger, et de te chauffer ce que tu t’es déjà préparé ! On va raisonnablement te laisser tranquillement manger. Et la semaine prochaine, je reviens te voir »
« Tu m’appelleras ? »
« Oui, bien-sûr, histoire de te le confirmer, et d’avoir le plaisir, quand je viens, de te trouver chez toi ! »
« Oui, ça me va ! »
Grands sourires échangés en même temps que les bises.
Nous voilà de nouveau près de la grand place du … métro Alésia
…Will, tu vas nous dire, après la visite, ce que génère en toi ce bénévolat d’accompagnement de personnes âgées atteintes d’Alzheimer mais avec lesquelles un lien humain peut continuer à s’instaurer.
Et pour cela, nous vous disons, chers internautes, à très bientôt sur notre site Web petits frères des Pauvres.
En savoir plus sur les actions des Petits Freres des Pauvres pour les personnes malades.