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Fin du timbre rouge et dématérialisation des services : les personnes âgées, laissées pour compte ?

La fin du timbre rouge à La Poste soulève des inquiétudes chez les personnes âgées. © Kseniia Titova / Shutterstock.com
La fin du timbre rouge à La Poste soulève des inquiétudes chez les personnes âgées. © Kseniia Titova / Shutterstock.com

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Depuis le 1er janvier, le timbre rouge des lettres prioritaires est supprimé au profit des « e-lettres rouges ». Pour de nombreuses personnes âgées, cette dématérialisation à marche forcée d’un grand nombre de services est perturbante. Décryptage.

« On passe d’un truc à un autre sans se préoccuper de savoir comment les vieilles dames de plus de 80 ans vont faire », s’indigne auprès de BFMTV.com Annie, 84 ans. En effet, depuis le 1er janvier 2023, le timbre rouge qui permettait d’envoyer des lettres prioritaires est supprimé par La Poste au profit d’un modèle électronique à utiliser sur Internet ou avec un conseiller dans un bureau de Poste. 

Cette mesure qui s’inscrit dans une politique globale de digitalisation à marche forcée des services publics ou qui ont une mission de service public, soulève des inquiétudes, surtout quand les procédures se complexifient à outrance. De plus, cela crée des complications pour les personnes éloignées du numérique dans un pays où 13 millions de personnes rencontrent des difficultés pour utiliser Internet (étude Insee 2022), et où 3,6 millions de personnes âgées sont toujours en exclusion numérique (Baromètre des Petits Frères des Pauvres/ CSA 2021). 

« J’ai très peur de ça, on nous dit partout qu’on va passer au tout numérique et quand vous n’avez jamais eu l’habitude de vous servir de ces outils c’est très effrayant. Si dans 5 ou 6 ans on nous dit que tout sera sur internet, je ne saurai pas faire. Les impôts en ligne je ne sais pas faire ni gérer mon compte AMELI en ligne…ça me fait peur. Et je veux être plus autonome. C’est très perturbant pour les personnes âgées, je me dis qu’il faut m’accrocher et apprendre pour me débrouiller toute seule. », confirme ainsi Françoise, 71 ans.

Pour Mélissa-Asli Petit, sociologue spécialiste du vieillissement, ces changements comme la disparition du timbre rouge contribuent à perturber les repères des personnes âgées : « Cela crée une forme d’étrangeté au monde. Il ne s’agit pas que du timbre rouge, mais aussi des services de proximité qui se raréfient en ruralité ou des services administratifs qui se dématérialisent, c’est un ensemble d’éléments qui vont amener les individus à ne plus avoir de marques dans leur quotidien, des marques historiques qui sont aussi pratiques et faciles. C’est donc une synergie de facteurs qui créent cette étrangeté, ce manque de repères et on peut regretter un certain manque d’informations sur la transition et l’accessibilité des nouveaux services. »

Une nécessaire formation pour accompagner la dématérialisation

Face à la numérisation rapide de notre société, les ateliers de formation au numérique d'Astroliens et des Petits Frères des Pauvres ont du succès. © Juliette Avice / Petits Frères des Pauvres

Alors que les Petits Frères des Pauvres alertent depuis plusieurs années sur l’exclusion numérique comme facteur aggravant de l’isolement dans un monde hyper connecté, nous sommes toutefois persuadés que les mondes réel et virtuel ne s’opposent pas et que la révolution digitale que nous sommes en train de vivre peut être également profitable à cette génération qui reste encore trop éloignée du numérique.

Pour réconcilier ces deux mondes, notre Association recommandait par exemple dans son rapport sur l’exclusion numérique (Petits Frères des Pauvres/ CSA, 2018) d’installer un univers « web-friendly » dans le quotidien des personnes âgées, par exemple dans les lieux qu’elles fréquentent ou encore de former les personnes âgées qui le souhaitent avec une approche personnalisée et de favoriser leur autonomie. « On ne peut pas faire grand-chose sans internet alors participer à des ateliers numériques me permet de rester un peu à la page, de pouvoir me débrouiller. », explique notamment Michel, 70 ans, qui participe à des ateliers numériques avec les Petits Frères des Pauvres. 

D’autant plus, et on l’a vu pendant la crise sanitaire, que le numérique peut être un allié pour maintenir le lien social

Par ailleurs, les Petits Frères des Pauvres alertent sur la nécessité de faire respecter le choix des irréductibles réfractaires et leur garantir, ainsi qu’aux personnes dont les difficultés (handicap, maladie, illettrisme…) ne permettront pas l’accès au numérique, un accompagnement humain, pour ne pas créer d’inégalités dans l’accès aux droits. Mélissa-Asli Petit, sociologue, confirme : « Il y a un nécessaire besoin d’accompagnement à ces changements. Il faut toujours trouver l’équilibre : la technologie n’est qu’un moyen mais la relation humaine est nécessaire. Il faut remettre de l’humain au centre ! »

Penser une société inclusive

Dématérialiser en pensant aux impacts pour les populations vulnérables, une considération qui est souvent oubliée lorsqu’on numérise à marche forcée. Résultat : les exclus du numérique parmi lesquelles les personnes âgées sont majoritaires, tout particulièrement les plus fragiles d’entre elles, deviennent les laissés-pour-compte du numérique. Ainsi, des personnes âgées qui arrivaient à faire seules des démarches, comme acheter un carnet de timbres, se retrouvent à avoir besoin d’aide : pour certaines, cela peut être dévalorisant et faire penser qu’elles sont un poids pour la société.

Aujourd’hui, tout se passe sur Internet. Nous, les vieux, on n’a pas le choix !

« Maintenant partout où on va pour demander les choses, ils nous disent d’aller sur Internet. Mais les vieux c’est pas pareil que les jeunes. Y’en a qui savent faire mais il y en a beaucoup aussi comme moi qui ne savent pas faire. Ils nous disent de le faire mais je n’y arrive pas. Pour la CAF, j’ai fait un changement d’adresse. Alors je me suis déplacée au guichet pour demander à le faire et on m’a dit de répondre à un formulaire papier mais moi j’ai dit que je ne sais pas écrire et que je voudrais que quelqu’un mette directement en ligne sur Internet. Mais ils m’ont envoyé vers d’autres personnes et j’ai dû refaire la queue pendant deux heures et la personne ne voulait pas faire le changement d’adresse directement sur Internet. Alors je me suis énervée et ils ont fini par enregistrer ma nouvelle adresse sur leurs ordinateurs. J’ai dit « je ne bouge pas de là ». Je trouve qu’il y a un grand changement des choses, c’est plus pareil qu’avant. Il faut crier pour qu’ils s’occupent de vous. » se révolte Hasna, 61 ans. 

Du côté de Roger, 68 ans, même constat : « Aujourd’hui, tout se passe sur Internet. Nous, les vieux, on n’a pas le choix ! Il faut qu’on se mette à la page. ».

En amont de cette dématérialisation, il serait donc nécessaire de penser aux utilisateurs. La sociologue résume : « Ce qui est essentiel, c’est de réussir à penser tous ces services de manière inclusive. C’est de mener une réflexion pour savoir comment on arrive à intégrer les problématiques de tout le monde et, dans le cas où on fait évoluer un service, comment on répond à ces enjeux parce que ce sont des clients et qu’on n’est pas sur des niches. Ces démarches inclusives vont véritablement changer la donne de la société dans laquelle on est ! »

La persistance des services publics accessibles pour tous et l’utilisation des technologies numériques facilitées pour les aînés montrent bien quelle place nous accordons aux aînés dans notre société et le peu de visibilité accordé dans le débat public à ces citoyens. À nous tous de changer de regard et mieux considérer les personnes âgées !

 

 

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Audrey Achekian
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