Si en France la mort solitaire reste peu connue et la réalité des cas encore sous-estimée, au Japon, c’est un phénomène qu’on connait -malheureusement- mieux. Une étude de 2010 évoquait 32 000 morts solitaires par an sur une population de 127 millions tandis qu’une autre expliquait, que 4,5 % des funérailles en 2006, auraient impliqué des cas de personnes âgées retrouvées mortes seules chez elles.
Les Japonais ont même créé un mot pour désigner ce phénomène : « Le mot kodokushi a été forgé dans les années 1970, au cours desquelles le vieillissement de la population japonaise a commencé à devenir plus évident. Le terme s’est popularisé après le grand tremblement de terre de Kobe en 1995 : on comptait parmi les victimes de nombreuses personnes âgées vivant seules et en perte d’autonomie, qui n’ont pas réussi à fuir à temps de leur logement. Les kodokushi (nommées aussi koritsushi dans les documents ministériels) concernent ainsi principalement des personnes âgées veuves ou célibataires, en manque de liens, dotées de faibles ressources financières. », relate Sophie Buhnik, chercheuse à l’Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise.
Kodokushi : un problème de société
Mais finalement comment peut-on mourir seul dans l’un des pays les plus peuplés au monde ? Les médias rapportent régulièrement des cas d’aînés découverts des semaines ou des mois après leur décès sans que personne ne se soit inquiété pour eux.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la « mort sociale » des personnes âgées qui se replient sur elles-mêmes, s’excluent pour finir par mourir dans la plus grande discrétion… On observe tout d’abord un certain bouleversement des modèles familiaux, un système de protection sociale pas très adapté (moins favorable qu’en France), une précarisation des foyers et culture nippone qui consiste à solliciter sa famille plutôt que ses voisins en cas de problème. Par politesse, les Japonais âgés s’abstiennent généralement de déranger leurs voisins, même pour de petits services, ce qui renforce leur isolement.
Enfin, une étude à Osaka sur les morts solitaires montrait que dans 30 % de ces cas, les personnes âgées étaient victimes de démence.
La mort solitaire : une crainte pour certains, un business pour d’autres
Bien que ce fléau soit de plus en plus documenté (livre « Nos vies entre les morts » de Yuzu Morikawa ou exposition de Miyu Kojima sur les miniatures des appartements des morts solitaires), ces morts solitaires sont très craintes « pour des raisons socio-économiques car elles ont un impact négatif important sur l’activité immobilière : en effet, les biens où des personnes ont été retrouvées mortes, quelle qu’en soit la cause, sont très difficiles à relouer ou à vendre pour des raisons de superstition ou de croyances. Ce type d’incident, plus susceptible de se produire dans les quartiers où il y a beaucoup de personnes âgées, peut donc accentuer la vacance résidentielle en dissuadant de potentiels arrivants. », note Sophie Buhnik. À tel point qu’une application appelée Oshimaland a été créée pour recenser les logements où les personnes sont décédées de mort accidentelle ou violente…
Avec l’ampleur grandissante du phénomène, une économie s’est peu à peu mise en place autour de ces morts solitaires. D’un côté, avec une véritable industrie du nettoyage (des sociétés privées se sont spécialisées dans le nettoyage des « death rooms » pour que les appartements soient ensuite revendus), de l’autre avec des offres d’assurance destinées aux propriétaires, dont les locataires seraient susceptibles de décéder sans crier gare dans l’appartement, pouvant entraîner des coûts non négligeables.
Quelles solutions pour lutter contre la mort solitaire au Japon ?
En février 2021, un ministre chargé de la lutte contre la solitude et l’isolement, Tetsushi Sakamoto, a été nommé au Japon. L’une des premières missions qu’il estimait essentielle était d’identifier ceux qui étaient seul ou isolé et ceux qui étaient en risque d’exclusion de la société.
En attendant, « il y a aussi des accords passés avec des entreprises privées pour faciliter la détection de seniors fragilisés, par exemple avec les distributeurs d’eau ou d’électricité, qui sont incités à communiquer dès que possible aux collectivités locales des anomalies dans la consommation de leurs clients âgés. », détaille la chercheuse. Le Japon compte aussi beaucoup sur « l’autogestion dans les quartiers et la coparticipation des habitants pour faire du bénévolat, maintenir des services publics, aider les personnes âgées, mettre en place des taxis communautaires, pour la livraison de courses ou la gestion d’espaces de socialisation. », note-t-elle.
Des mesures inspirantes ?
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