« Quand je l’ai vue pour la première fois, elle était assise sur son lit avec son petit manteau rouge, bien droite, se souvient Marie-France.
Je pense qu’elle devait être habillée depuis pas mal de temps et elle attendait mon arrivée… »
Suzanne F. est « une petite femme toute menue aux beaux cheveux blancs », note une de ses visiteuses sur le cahier de transmission de la fraternité accompagnement des malades.
Jusqu’à son hospitalisation, elle habitait un coquet studio dans une résidence retraite de la ville de Paris. Après la mort de son fils, Mme F. « perd un peu la notion des choses ».
Hospitalisée en médecine interne, elle reçoit à deux reprises la visite de Marie-France : « Elle était très malheureuse là-bas, se sentant vraiment prisonnière et elle a sombré. Elle est devenue assez paranoïaque… »
Elle sort le 9 décembre, sans que son retour chez elle ait pu être préparé.
Incapable d’assumer seule cette sortie – papiers à remplir, service d’aide ménagères à contacter…, elle est de nouveau hospitalisée le 12, dans l’attente d’un placement en moyen séjour.
Le 16 décembre, elle assiste aux obsèques de son fils, se retrouve entre ses quatre murs, avant de retourner à l’hôpital trois jours plus tard, via les urgences. Marie-France va la voir très souvent, car l’état de Mme F. se dégrade : « Elle n’était plus au même étage, ce qui la déboussolait encore plus. Elle errait dans les couloirs à la recherche des toilettes. Il fallait que je la remettre à chaque fois un peu dans la réalité, lui rappeller mon prénom : “Marie-France ! ah oui, c’est ça !”.»
Coquette, Mme F. est aussi très perturbée par ses vêtements froissés, le bouton qui manque à sa veste, qu’elle aimerait recoudre. Heureusement, Mme G., une conseillère en économie familiale du bureau d’aide sociale du XXème arrondissement parisien, garde le contact avec elle, lui fait parvenir du linge propre et assure le suivi administratif.
Ainsi, le maillage se renforce autour de la patiente, grâce à sa référente à la fraternité, Sabine de Baudus, qui de coups de fils en mails fait circuler les nouvelles auprès des quelques personnes qui constituent son maigre entourage.
Marie-France continue ses visites
Il est alors question que Mme F. soit transférée à Draveil (Essonne) dans un centre de moyen séjour. La fraternité fait jouer le réseau interne pour organiser son accompagnement.
Contact est pris avec une équipe des petits frères de Draveil… Mais, le 19 janvier, coup de fil de l’hôpital : Mme F. va être hospitalisée dès le lendemain en gérontologie à l’hôpital Charles-Foix d’Ivry (Val-de- Marne).
Branle-bas de combat : deux des bénévoles de l’implantation Paris-Sud, qui accompagne des personnes agées dans cet établissement, pourront prendre le relais.
Le 26 janvier, Marie-France note une amélioration de son état : « Mme F. a toujours quelques moments de confusion, mais elle est cohérente, elle ne se plaint pas des soignants, et n’a apparemment plus d’idées fixes.»
Cette personne « qui fait tout pour se tenir droite » est seule depuis la mort de son fils.
Les rares parents encore en vie habitent la province.
Aujourd’hui, elle est à Charles-Foix… le temps qu’une place lui soit trouvée dans un hôpital en long séjour.
Même provisoire, cette stabilité ne peut que l’apaiser.
Encore faut-il préparer son entrée définitive en institution, l’aider à faire le deuil de son fils : « C’est une personne qui ne montre rien. Elle m’a donné l’impression de retenir sa souffrance. Elle commence à évoquer son fils, quand les souvenirs lui reviennent comme des flashs, observe Marie-France, qui passe de longs moments au téléphone avec Mme G. Dès qu’elle sera en état de sortir, des bénévoles de Paris-Sud se proposent d’emmener Mme F. déjeuner rue Chanoinesse, le restaurant associatif, un lundi par mois. »
Consultée, Marie-France ne peut qu’approuver cette incitation : « C’est une personne qui, physiquement, a besoin d’être aidée, car elle a des problèmes respiratoires et s’essouffle très vite. Mais, si elle est bien entourée, pourquoi pas ? » Garder le lien pour que la personne se sente reliée où qu’elle aille, c’est le rôle de ces bénévoles qui se doivent d’être aussi mobiles que les malades et « ne pas être attachés aux lieux où ils interviennent », diagnostique Etienne, le directeur de la Fraternité.
« Il doivent aussi apprendre à se “désapproprier”, c’est-à-dire arriver à accepter qu’il y ait une multitude de relations privilégiées autour d’une personne. »
Tâche difficile ?
Cela s’apprend par l’expérience, affirme le directeur, et grâce aux divers soutiens que la Fraternité donne aux accompagnants.
« Je me sens le désir de garder le contact avec elle, précise Marie-France, parce que nous avons vécu des moments très forts toutes les deux », ajoutant : « Je ne peux pas faire autre chose que de lui apporter de la tendresse. »